critique &
création culturelle
Hubert-Félix Thiéfaine
Pérégrinations françaises

Pour les inconditionnels de la poésie, de la langue française et de la façon grandiloquente dont on peut en user, Hubert-Félix Thiéfaine attisera un feu qui brûle. Malgré ses dix-sept albums et ses récompenses, le poète jurassien reste aujourd’hui encore méconnu du grand public.

Reflet d’un prosateur

Photo © Yann Orhan.

Hubert-Félix Thiéfaine est l’un des derniers enfants d’un temps ayant musicalisé la langue française avec génie. Fou d’oxymores et autres métaphores, il dompte le verbe, allant même jusqu’à inventer des mots quand ces derniers ne sont pas assez justes. Il y a aussi chez Thiéfaine quelque chose d’intemporel, les sujets dénudés par sa plume étant toujours terriblement d’actualité. Même si l’étiquette de poète obscur lui colle à la peau, il dit de lui-même être tout au plus un miroir renvoyant une noirceur inhérente au monde actuel.

Provocateur et adepte de l’humour noir, Thiéfaine est un poète libre, versifiant sur la vie, l’amour ou encore la mort. Amoureux des arts, il nourrit ses chansons de références culturelles et littéraires en chantant un tableau du peintre Edward Hopper dans l’album Suppléments de mensonge (2011), ou en ponctuant volontiers ses textes à la manière de Louis-Ferdinand Céline dans Stratégie de l’inespoir (2014). La tournée en cours VIXI XVII Tour 1 l’a amené le 25 mars dernier sur la scène de l’Espace Beauregard de Monthou-sur-Bièvre. Voici quelques remémorations de cette échappée.

Hubert-Félix Thiéfaine à l’Espace Beauregard

À Monthou-sur-Bièvre, bourgade du Loir-et-Cher, se dresse l’Espace Beauregard, complexe sportif transformé ponctuellement en salle de spectacle. Dès l’arrivée, l’on constate qu’en plus des quelques « cuirs, barbes et nicotines » récurrents de ses concerts, un public très éclectique manifeste d’une seule voix le plaisir fugace de retrouver Hubert-Félix Thiéfaine sur scène.

L’Espace Beauregard propose exclusivement des places assises. Et, il faut l’admettre, cette réalité, ainsi que de nombreuses interdictions affichées aux quatre coins du complexe, dérange.

À 20 heures, face à un public en effervescence, une brune aux cheveux longs s’avance timidement sur la scène. Elle entame instantanément son set, cultivant mystère et douceur. Commence Minuit délire et en une seconde, l’acclamation laisse place au silence. Mais qui est cette fille qui nous raconte d’une voix suave son éros sur le rythme de sa Tanglewood ? Elle s’appelle Adella2 et conquiert rapidement son public, tout en assumant brillamment sa posture solitaire. Deux morceaux plus tard, elle nous susurre les couplets de C’était l’heure , avant de conclure la chanson par une envolée violonistique d’une belle maîtrise3 .

Les lumières s’éteignent pour la deuxième fois, les musiciens introduisent le concert dans la pénombre jusqu’à ce que Thiéfaine apparaisse et déclame : « En remontant le fleuve au-delà des rapides ». Putain, c’que c’est bon. Après Errer humanum est , le bonheur de la tentation est trop fort. Alors que certaines têtes hochent sous sa prose, certains pieds tapant le sol emportent leurs quelques propriétaires aux quatre coins de la salle. Pourtant, lorsqu’on observe le public , le spectacle est curieux: la majorité des spectateurs, scotchés à leur siège, semblent pratiquement anesthésiés.

Quelques vers en latin résonnent : « Angelus domini nuntiavit mariae et concepit de spiritu sancto7 », avant de laisser place au formidable Angelus , single issu du dernier album Stratégie de l’inespoir . À l’heure où différents dogmes baignent dans le sang de leurs victimes, il est bon d’entendre un artiste discuter de l’immuable.

Je te salue seigneur, du fond de tes abîmes
De tes clochers trompeurs, de tes églises vides
Je suis ton cœur blessé, le fruit de ta déprime
Je suis ton assassin, je suis ton déicide

Sur l’avant-scène, on assiste à une sainte trinité des plus rock n’ roll. Lucas, le Fils, a troqué sa batterie9 pour gratter tout au long de la tournée du Père. Sans oublier l’essentiel Alice Botté, allégorie singulière du Saint-Esprit, toujours aussi époustouflant et faisant vibrer notre corde sensible comme personne. L’osmose entre les protagonistes est presque palpable, accentuée par la conversation corporelle de Thiéfaine avec ses musiciens.

Un concert de Thiéfaine, c’est toujours une véritable pérégrination musicale. Sa poésie élégiaque est célébrée par une musique rock n’ roll propre à l’adaptation live , créant lors de chaque tournée ces métamorphoses auxquelles nous sommes particulièrement sensibles.

Venu certes présenter Stratégie de l’inespoir , Hubert-Félix Thiéfaine nous fait l’immense plaisir de balayer quasiment toute sa discographie. La sirène Lorelei retentit sur des sonorités électriques mais nous laisse quelque peu sur notre faim. Il ne s’agira d’ailleurs pas d’un cas isolé. En effet, à certains moments clefs, les chansons peinent à décoller malgré la ferveur déployée par les musiciens. Serait-ce le résultat de piètres moyens techniques mis à disposition par le Beauregard ? La musique aurait-elle été adaptée à une salle de configuration assise ? Toujours est-il que comme face à l’orgasme que l’on sentirait poindre mais qui s’échapperait, l’on passe un moment exquis mais l’on finit frustré.

Quel plaisir d’également retrouver les confessions d’un routard sur ses Autoroutes jeudi d’automne . D’ailleurs, la rumeur court que cette chanson n’aurait plus été interprétée en live depuis 1986.

Et moi je lis ses lettres le soir dans la tempête
En buvant des cafés dans les stations-service
Et je calcule en moi le poids de sa défaite
Et je mesure le temps qui nous apoplexise
Et je me dis stop
Mais je remonte mon col, j’appuie sur le starter
Et je vais voir ailleurs, encore plus loin ailleurs

Vient le rappel. Les spectateurs les plus indociles se ruent en bas de la scène aussitôt les Dingues et les Paumés identifiés. Une atmosphère fiévreuse envahit peu à peu un public gueulant à quel point « la solitude n’est plus une maladie honteuse ». L’éternelle Fille du coupeur de joints retentit et conclut le concert ou presque… Alors que le public fredonne toujours l’air précédent, Thiéfaine reparaît accompagné de sa guitare pour lui faire Des adieux .

Même rédacteur·ice :