critique &
création culturelle
The Blaze
La vérité sur la bromance arabe

Le 23 février 2017, quatre mois déjà, le duo français de musique électronique The Blaze sortait son deuxième titre Territory de leur EP éponyme, activant les likes, partages et reblogging de toutes parts sur les internets.

Un buzz, que ça s’appelle dans le jargon. Une bombe, littéralement.

Déjà plébiscité pour son premier son Virile , The Blaze offre avec ce deuxième titre Territory une perle, un bijou, tant musical que photographique. Tout y est parfait, le son, les beats , les paroles, la voix déformée au vocoder, et ce clip à la photographie léchée, au jeu d’acteurs prenant dès les premières secondes et ce plan-séquence (à 3’23) qui vous donne l’impression de prendre le monde à bras le corps.

On vous l’avait dit, « tout y est parfait ».

Territory a mis tout le monde d’accord. Les élans d’amour se sont manifestés partout pour ce clip, sur les internets pleuvaient et pleuvent encore les applaudissements, on en redemande encore, il ne restait plus qu’à compter les dodos nous séparant de la sortie de leur premier EP en avril dernier.

Parmi les commentaires et les bravos, certains se questionnent et relancent une discussion à peine débutée avec Virile : The Blaze ne serait-il pas en train de nous parler de coming out homo ? Après tout, ces jeunes hommes qui traînent entre eux, courant à demi-nus sur une plage déserte, dansant dans un appartement quasi vide et se faisant des « soufflettes » de bédos ne joueraient-ils pas sur une surenchère exacerbée de leur virilité cachant mal une homosexualité refoulée ?

D’abord il y a les mots

Il y a mille mots pour désigner l’amour dans la langue arabe. Ce n’est pas un mythe, pas une légende, c’est un fait. L’amour sous toutes ses formes a toujours été d’une importance capitale dans une culture qu’aujourd’hui certains extrémistes (politiques ou religieux) s’évertuent à décrier comme haineuse, méprisante, anti-sensuelle et sexuelle.

L’amour par le verbe, l’amour par le corps, l’amour maternel, paternel, fraternel, l’amour amoureux.

La langue arabe et ceux qui la pratiquent sont d’une inventivité sans faille lorsqu’il s’agit de dénommer l’autre aimé. On pensera au classique Habibi (Amour), ‘Galbi (Cœur) ou plus fort Hayati (Ma vie).

Et puis il y a ces habitudes étonnantes où les parents appellent leurs enfants par leur diminutif de parents. Cela peut être déstabilisant de découvrir qu’un père appelle sa fille « maman » ou son fils « papa », les rôles s’inversent soudainement dans un arbitraire qui semble absurde. Mais cette façon de faire est propre à tous les pays arabophones et moyen-orientaux.

Combien de fois n’ai-je pas entendu un fils appeler sa mère « Maman ! » et celle-ci de lui répondre « Oui maman ? ». Elle l’appelle « maman » en retour, non seulement par effet de mimétisme, mais aussi parce que son fils est aussi important que sa propre mère, qu’elle le respecte et le chérit autant que cette dernière et qu’il sera un jour « sa mère » lorsque les vieux jours viendront.

En Orient, comme en Afrique, toute personne faisant partie du même cercle social reçoit une dénomination familiale : les amis de la famille deviennent des oncles et des tantes, les personnes âgées sont les grands parents de tous, les enfants des uns sont les enfants des autres. C’est une forme de respect, c’est aussi un rapprochement qui permet de tisser des liens indéfectibles.

Sans doute ces habitudes langagières remontent à ces siècles de clans et de tribus, où nommer l’autre comme un membre de sa famille permettait d’en faire un allié qui pourrait toujours vous épauler sans jamais vous trahir, et permettre d’éviter quelques alliances maritales douteuses.

Saviez-vous par exemple qu’il était interdit aux filles et garçons ayant eu la même nourrice de se marier, car désormais frère et sœur de lait ?

Ensuite il y a le corps

Par les mots, le rapport au corps de l’autre était ainsi réécrit. Dans mon enfance j’ai été tour à tour la mère de mon père, son cœur, son foie, sa rate, sa vie. L’autre qu’on affectionne est tout aussi important que nous, que chaque organe qui nous constitue.

En dehors du cercle de la sexualité, le corps de l’autre du même genre n’est pas vécu comme dangereux, il est un terrain d’entente. Traditionnellement, au hammam, les femmes se lavent entre elles, pareil chez les hommes, la relation au corps devient maternelle, cette régression contrôlée permet de tisser des liens d’affection, de chasser la peur de l’autre.

C’est pour cela que les hommes et les garçons dans les clips de The Blaze se touchent et s’embrassent : au Maghreb le toucher comporte une gamme de ressentis qui ne sont pas vu et perçus comme sexuels, les femmes prennent soin d’elles en échangeant tour à tour le rôle de mère. Les hommes marchent en rue en se donnant la main, tels les petits garçons qu’ils ont été autrefois. Ces camaraderies passent par le toucher, et c’est la proximité occidentale qui a donné à ce toucher sa valeur d’invitation sexuelle.

À l’inverse, lorsqu’on ne touche pas, c’est que l’on désire sexuellement. On se dérobe à l’autre, on joue de pudeur lorsque s’installe le jeu amoureux.

Les enfants gardent un contact physique avec la mère, même devenus parents eux-mêmes. Les filles, même adultes, dorment avec leur mère, lors des visites au domicile parental. Les femmes dorment ensemble dès que le mari de l'une ou l'autre voyage. Les célibataires dorment entre sœurs, nièces, cousines, tantes, voisines, amies. C'est, ou plutôt c'était, de façon proche, un monde où la peau n'était pas honteuse – Hawa Djabali.

Il faut dénuer ses yeux d’un regard occidental lorsqu’on regarde les clips Virile ou Terrority . Si vous avez côtoyé ou grandi comme moi dans une famille de culture nord-africaine ou moyen-orientale, vous aurez compris que ces embrassades, ces danses entre mecs sont l’exacte représentation de la bromance arabe dans toute sa vérité nue : le touché de l’autre est un passage d’humanité, une transcription d’une confiance véritable, sans tabou ni gène. Les démonstrations d’affections physiques existent hors contexte sexuel, sans crainte ni méprise, car l’autre est moi, je n’ai pas peur de sa peau, je peux prendre soin de lui comme il prendra soin de moi.

The Blaze a réussi son pari, en brouillant les pistes, le groupe a fait des clins d’œil à d’autres, qui ont su reconnaître cette culture où le corps de l’autre n’est pas un ennemi.

Et moi, je peux retourner cliquer sur play pour continuer d’apprécier leur premier EP.

Même rédacteur·ice :

Territory EP

The Blaze
Animal 63
2017