critique &
création culturelle
A reason to talk
Comment jouer (l’)intime

Le 8 mars 2017 au Théâtre National, s’est jouée pour la première fois en français la pièce de Sachli Gholamalizad,

Le 8 mars 2017 au Théâtre National, s’est jouée pour la première fois en français la pièce de Sachli Gholamalizad,

A Reason to Talk

. Créée au KVS en 2014, il s’agit de la première mise en scène de l’actrice et metteuse en scène belgo-iranienne. Elle y retrace le parcours de sa mère, arrivée en Belgique en 86 avec ses enfants.

Première pièce d’une trilogie dont le deuxième volet,

(Not) My Paradise,

se joue cette saison en néerlandais au KVS et dont le troisième volet n’a pas encore vu le jour,

A reason to talk

est avant tout une mise en scène à la recherche de l’intimité.

Dos à ses spectateurs.ices, face à un écran d’ordinateur, elle est filmée en direct par une webcam. Son visage en gros plan est retranscrit sur deux écrans. Elle tape à l’ordinateur, les mots s’affichent sur le premier écran ; le public peut ainsi voir ses fautes de frappe, ses hésitations, ses retours en arrière. Ce dispositif lui permet de se situer dans une intimité quasi cinématographique, de pouvoir jouer et ressentir sans devoir montrer.

Sachli Gholamalizad dit que, en se livrant à un public, elle parvient alors à se regarder dans le miroir.

Sur un autre écran, des images, tout d’abord de Sachli et de l’Iran, et ensuite d’une interview que la metteuse en scène a menée auprès de sa mère. Le thème : leur arrivée en Belgique, ses causes, ses conséquences. L’interview ne semble ni censurée, ni mise en scène. La comédienne est souvent très dure avec sa mère, qui pleure à certains instants.

Entre les scènes d’interview, Sachli se souvient de l’Iran, de son arrivée en Belgique, de sa première copine qui lui a appris à parler flamand, de ses disputes d’adolescente avec sa mère. La pudeur se situe dans le fait qu’elle nous présente son dos et que son jeu reste contenu. Pour le reste, elle dit tout, jusqu’à admettre qu’elle a honte de la manière dont elle parle à sa mère. Elle nous montre sa « propre monstruosité ».

Le spectacle porte donc deux sujets compliqués qu’il entremêle : l’immigration et les relations mères-filles. De la révolution iranienne, nous ne saurons presque rien. Que ceux qui le veulent se renseignent de leur côté, ce n’est pas le sujet de la pièce – un choix lié à la vie de Sachli Gholamalizad, puisqu’une critique du régime iranien actuelle conduirait à une interdiction de séjourner dans son pays, ce qu’elle ne souhaite pas.

Mais au-delà de ce contenu autobiographique, le spectacle interroge sur ce qu’on peut dire de soi-même et sur la manière dont on pourrait transmettre le réel, autrement dit : ce qui est réellement arrivé.

La mise en scène permet peut-être à certain.es spectateur.ice.s de s’immerger dans le spectacle comme on peut s’immerger dans un livre

La mise en scène, qui permet de voir en gros plan le visage de la comédienne et nous invite à suivre sa pensée lorsqu’elle tape à l’ordinateur, permet peut-être à certain.es spectateur.ice.s de s’immerger dans le spectacle comme on peut s’immerger dans un livre, puisque l’autrice n’est pas directement là, avec nous.

Personnellement, elle m’a mise à distance. Les mots sont touchants, le témoignage de déracinement est touchant. La relation entre la mère et la fille, qui ne parviennent pas à se comprendre parce qu’elles sont issues de générations différentes, de cultures différentes, est touchante. Mais tout cela ne m’a atteint qu’à rebours, en y repensant.

L’intimité offerte par Sachli, à force de vouloir être totale, est totalement construite.

Peut-être est-ce parce que ce qui me touche au théâtre est la présence simultanée de corps vivants sur le plateau et de corps vivants dans la salle ; ma capacité d’agir et d’influencer en tant que spectatrice sur ce qui se passe. La mise en scène et la construction du jeu ne sont jamais plus explicites qu’au théâtre, puisque nous sommes à la fois immergés dans l’histoire et en même temps assistons à sa création en direct, forcément un peu différente chaque soir. Je peux donc à la fois profiter de l’histoire qui m’est contée et de la performance offerte. Dans A Reason to Talk, je me suis sentie privée de cette spécificité théâtrale.

L’intimité offerte par Sachli, à force de vouloir être totale, est totalement construite. À trop me cogner à une (re)construction du réel, j’ai perdu le paradoxe de la performance, les moments où on aperçoit les comédien.nes derrière les personnages, où illes nous montrent qu’illes jouent. J’ai donc perdu la valeur intime par excellence du théâtre : celle qui se crée entre la scène et la salle.

Malgré tout, je salue le travail de Sachli Gholamalizad : honnête et investi, il permet de s’interroger sur la manière de transmettre une intimité biographique sur scène, et son choix de mise en scène est audacieuse. De plus, le travail documentaire réalisé sur le rapport entre l’immigration de la première et de la deuxième génération, les impossibilités de se comprendre au sein d’une même famille, les non-dits et le sentiment de déracinement est extrêmement intéressant et ouvre la porte à de nombreuses réflexions.

Même rédacteur·ice :

A reason to talk

Avec Sachli Gholamalizad
Scénographié par Steven Brys
Coaché par Greet Vissers
Son de Andrew Claes
Existe grâce à Shokat Armon, Bart Baele, Julie De Clercq, Zeynab Hamedani Mojarad, Ehsan Hemmat, Senjan Jansen, Bart Van Nuys
Mis en scène par Sachli Gholamalizad

Vu le 8 mars 2017 au Théâtre National .