critique &
création culturelle
Avignon 2019
Combat de pauvres, Prix Tournesol « Enjeux sociaux » rencontre avec Alexis Garcia

Terre de divertissement où fleurissent les spectacles de stand-up, le festival d’Avignon n’en demeure pas moins un espace d’engagement. Retour sur des spectacles s’attaquant aux conditions de vie des enfants de rue, à l’abandon du milieu rural par l’État et aux engagements citoyens pour bâtir un nouveau modèle de société.

Baptisé cette année « Le festival aux mille visages », le festival OFF d’Avignon ne cesse d’offrir une programmation vertigineuse, où tout type de théâtre, toute conception de l’art, toute catégorie de spectacle vivant se retrouvent, concentrant dans un territoire fini une vitalité culturelle infinie. Pour proposer un autre regard sur cet événement et démasquer quelques uns de ses visages, il existe notamment un jury citoyen composé de passionnés de théâtre : le jury Tournesol.

Présidé par Jean-Luc Fauche, lui-même épaulé par Virginie Carletti, cette association se développe depuis plusieurs années comme la fleur éponyme, se donnant pour mission de récompenser et de mettre en lumière des spectacles caractérisés par l’engagement écologique, social, politique et, surtout, humaniste.Parmi ceux-ci, Combat de pauvres a reçu le prix Tournesol 2019 « Enjeux sociaux » : rencontre avec l’un des comédiens, Alexis Garcia.

Comment est née l’idée de la pièce ?

Alexis Garcia (comédien) : Notre collectif vit majoritairement à Bruxelles. Or, ces dernières années, nous avons étés frappés par la pauvreté grandissante dans la capitale : explosion du nombre de SDF, 1 enfant sur 3 vivant en dessous du seuil de pauvreté, explosion des distributions de colis alimentaire pour de nombreuses couches de la population, étudiants, familles monoparentales, chômeurs, travailleurs pauvres… Face à ce constat, nous avons voulu comprendre comment cette situation était possible en partant à la rencontre de la population.

Des sans-abri ou des travailleurs précaires ont-ils vu la pièce ? Comment ont-ils réagi ?

Oui, plusieurs bien sûr. La construction du projet s’est déroulée sur plus de deux ans avec de nombreuses étapes de travail. Chaque étape a été vue par des précaires et des sans-abri. L’une des premières dates de Combat de pauvres a eu lieu lors de la journée mondiale de lutte contre la pauvreté à Namur (où nous avons joué en 2017 et 2018). Il s’agit de représentations gratuites offertes à la population. Nous avons également représenté la pièce pour de nombreuses associations ( Les Petits riens , Entraide et fraternité ,…) où  la population en difficulté est également présente dans le public. À chaque fois, les personnes sont extrêmement touchées par notre travail et nous remercient de transmettre leurs réalités. Ils se reconnaissent dans les personnages que nous interprétons, dans les situations que nous décrivons.

Il faut savoir aussi que chaque représentation est suivie d’un débat, d’un échange avec le public. Souvent, c’est une réelle occasion pour les personnes qui se sont reconnues dans le spectacle d’ajouter un nouveau témoignage concret de leur situation, de raconter leur propre histoire. Personne n’en sort insensible et nous ne comptons plus le nombre de spectateurs qui disent avoir complètement changé leur comportement avec les SDF après avoir vu le spectacle.

Qu’est-ce que le théâtre peut apporter à la problématique de la pauvreté ? Quels sont ses moyens propres pour saisir une telle problématique et l’exprimer de manière singulière ?

Chaque artiste, chaque créateur, chaque metteur en scène, chaque collectif a bien sûr sa manière à lui de se saisir d’un sujet et de le traiter de manière sensible. L’art a cette capacité de déplacer le regard que l’on porte sur les choses, de pouvoir faire un focus sur telle ou telle situation, brasser un sujet et lui donner du sens. Ce qui est également important, c’est que la représentation est un moment d’échange réel entre les acteurs et les spectateurs, on peut se transmettre les émotions, les joies, les peines. En ce qui nous concerne, nous avons développé depuis quelques années notre propre méthode de travail. Elle se déploie en trois temps.

1 – Nous réalisons de nombreuses interviews : dans ce cas, des SDF, travailleurs pauvres, chômeurs… mais aussi de nombreuses personnes des milieux associatif, politique, universitaire. À ceci s’ajoutent des lectures, des documentaires, tout ce que nous pouvons accumuler comme matière journalistique.

2 – On dérushe, trie, sélectionne ce qui nous semble important, ce qui nous a touchés, on choisit des personnes charismatiques ou emblématiques des sujets que nous traitons. On essaie de faire ressortir le cœur des interviews : qu’est-il important de transmettre, de mettre en lumière, de dire aux gens que nous rencontrerons ?

3 – Arrive la phase du montage (comme un documentaire en soi) et de la théâtralisation. Quelles formes artistiques peuvent être utiles au propos ? Nous travaillons sur un processus d’imitation des personnes que nous avons rencontrées afin de pouvoir rendre leur parole sans les trahir. L’idée est de placer le public comme s’il réalisait lui-même les interviews. À cela nous ajoutons des prises de parole personnelles qui permettent de transmettre nos réflexions, nos questionnements et nos colères.

Quels sont les points communs et les différences entre la France et la Belgique dans la gestion de la pauvreté au niveau politique ?

Nous ne sommes pas experts mais il y a énormément de similitudes. Les deux pays s’inscrivent dans une gestion de la pauvreté par l’urgence. Sur la question des sans-abri, il manque des lits, des soins, des accompagnements, des logements, alors on ne s’en occupe que lorsqu’ils sont au plus mal, on ouvre de nombreux lieux l’hiver, coûteux en frais de fonctionnement et qui placent les gens dans des conditions à la limite de l’humanité… Aujourd’hui, de nombreuses études montrent que payer un logement à toutes les personnes à la rue coûterait moins cher que mener toutes ces mesures d’urgence. Il faut penser au long terme car nous en avons les moyens. C’est avant tout une question de volonté politique.

Concernant les travailleurs précaires, le tableau est assez noir. Ils sont de plus en plus tirés vers le bas, on le voit à travers les différentes lois des deux pays : destruction du code du travail, attaque forte contre le syndicalisme, réduction du droit de grève ‒ le tout dans une ambiance idéologique où si tu ne travailles pas, si tu ne t’en sors pas, c’est que tu es un looser , un perdant et donc que tu ne vaux rien ‒ et augmentation des idées libérales (demande de flexibilité, de disponibilité). Les gens se sentent de plus en plus coupables de leur situation. Ils demandent simplement le minimum pour vivre et commencent à craquer, on le voit avec la force et la violence du mouvement des gilets jaunes, par exemple.

Comment se présente la tournée du spectacle ?

Lors du festival d’Avignon, beaucoup de programmateurs (dont bon nombre avaient vu notre ancienne création Nourrir l’Humanité c’est un métie r ‒ Prix Tournesol spécial climat en 2015) ont adoré notre proposition théâtrale et la manière dont nous traitons le sujet, et veulent échafauder un ensemble de représentations en France. Cela demande bien sûr un peu de temps pour s’organiser et les retombées du Festival devraient se faire ressentir pour les saisons futures. Cependant, ce n’est pas pour autant que nous sommes à l’arrêt car nous avons une petite trentaine de dates en Belgique en cette fin d’année 2019, où nous faisons partie de la campagne Justice fiscale du CNCD 11.11.11 (voir sur notre site www.artetca.com), et quelques-unes au premier semestre 2020. Un extrait d’une quarantaine de minutes du spectacle va aussi être diffusé sur la RTBF fin septembre/début octobre.

Il faut savoir que notre pièce s’adresse aussi bien aux lieux culturels qu’aux milieux associatifs, c’est pour cela que nous avons créé deux formes de spectacle : une complètement autonome techniquement, capable de s’adapter à n’importe quel lieu (nous venons avec tout le matériel et sommes prêts à jouer en trois heures), et une autre qui demande une journée de montage et des moyens techniques plus importants. Le propos est totalement le même sauf que, dans ce que nous appelons la grande forme, nous proposons en plus une scène onirique de quelques minutes à la fin du spectacle. C’est pourquoi, tout au long de l’année, des dates peuvent s’ajouter selon les propositions que nous avons.

Même rédacteur·ice :

Combat de pauvres

Compagnie Art & tça

Direction d’acteurs : David Daubresse
Écriture et interprétation : Charles Culot, Alexis Garcia & Camille Grange
Accompagnateur technique : Jean-Louis Bonmariage
Scénographie : Claudine Maus
Regards extérieurs : Christophe Menier & Julie Remacle
Montage vidéo : Marie Gautraud

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