critique &
création culturelle
Un conte d’hiver
qui laisse froid

Le Théâtre Royal du Parc, puis l’Atelier Théâtre Jean Vilar, proposent une pièce peu jouée de Shakespeare. Une mise en scène trop démonstrative, mais servie par des comédiennes magnifiques.

Un conte d’hiver (1610), l’une des dernières pièces de Shakespeare (1564-1616), est un hybride étrange : sa structure en diptyque est composée d’un premier volet absolument tragique et d’un second s’apparentant à la pastorale légère. Le tout s’achevant par un final fantastique. L’histoire cependant est sans circonvolutions : nous suivons la chute du roi Léontes, puis sa rédemption. Léontes, roi de Sicile, est l’heureux époux de la pure Hermione, dont il a un fils, Mamillius, et bientôt un second enfant. L’amour le plus tendre unit cette famille qu’une amitié sans ombre lie au bon Polixène, roi de Bohême.

La pièce débute justement par un banquet donné en l’honneur de Polixène qui doit bientôt retourner en Bohême, malgré l’insistance de Léontes à prolonger son séjour. Rien n’y fait, Polixène, malgré son attachement à ses hôtes, veut rentrer chez lui. Car il le faut bien, après plus d’un an passé en Sicile : les affaires de son royaume, son épouse, son fils adoré, le réclament. Léontes demande alors à la candide Hermione de tenter de convaincre Polixène de rester. Hélas, celle-ci réussit. Hélas. Car quand la réponse de Polixène passe du non au oui, une maladie aussi subite que violente naît dans le cœur de Léontes : la jalousie. Léontes tente de faire empoisonner Polixène, qui parvient à fuir. Sur un soupçon que rien n’étaie, Hermione est emprisonnée et jugée publiquement. Elle accouche en prison de la fille de Léontes, que celui-ci affirme être le fruit de l’adultère, et il la condamne à être abandonnée sur les rives de la Bohême. Son fils Mamillius meurt de l’affront fait à sa mère et celle-ci meurt du chagrin d’avoir perdu ses enfants et son honneur, bien qu’elle soit reconnue innocente par l’oracle de Delphes.

George Lini.

La première partie de la pièce se referme sur un Léontes dévasté, accablé de remords. Le Temps lui-même prend alors la parole et annonce que seize ans ont passé et que les larmes laissent place à l’amour. Changement de ton radical. On est dès lors face aux badinages bucoliques de deux jeunes et belles personnes, la fille de Léontes et le fils de Polixène. Leur amour rachètera finalement les péchés de Léontes, rétablira la paix dans son âme et l’amitié entre les rois.

Georges Lini a pris le parti d’une mise en scène contemporaine qui sied aux propos inoxydables de Shakespeare. Sur scène, les comédiens circulent dans et devant une grande cage vitrée, et cette structure est tantôt jardin d’hiver propice à la fête, tantôt prison. Le spectateur observe les destins qui se déchirent dans ce vivarium. Les parois de verre assourdissent la portée des voix, rendant physique l’incommunicabilité entre le tyran fou de jalousie et ses victimes.

À ces deux dimensions sonores créées par les volumes distincts du vivarium et de l’espace ouvert devant lui, il était à mon sens inutile d’ajouter un micro à l’avant de la scène, dans lequel Léontes et d’autres personnages viennent de temps en temps crier une réplique. Car on crie beaucoup dans Un conte d’hiver . Léontes surtout. Le comédien Itsik Elbaz ne ménage pas ses cordes vocales, de la première à la dernière réplique, au point que cela force l’admiration… mais aussi le malaise. Il démarre très (trop) fort tout de suite. Bien sûr, la jalousie explose en lui de façon inattendue, mais enfin, il ne faut pas oublier que jusqu’à ce que Polixène dise oui à Hermione, tout ce petit monde s’adorait et baignait dans une joie parfaite.

Étrangement, ici, Léontes semble déjà bougonner au lever du rideau. Cette erreur nuit à la compréhension de la situation et déforce le monstrueux basculement qui s’opère en Léontes. Le véritable drame est pourtant là, précisément. L’indicible horreur est qu’au ciel bleu succède une tempête en un clignement de paupière, sans raison. Mais cela ne justifie pas une interprétation invariablement gueularde pour autant. Par ailleurs, le jeu est parasité par la recherche constante de l’approbation du public, déjà chatouillé par le fait que le roi déchu joue en slip… La raillerie l’emporte alors sur la compassion et brouille les intentions.

Manque de finesse aussi du côté de l’utilisation des projections numériques. Par exemple, est-il bien nécessaire de projeter en arrière-plan, pendant qu’Hermione accouche debout, seule au milieu de la scène, un film de ce qui est en train se dérouler, avec moult zooms sur le visage tordu de douleur et les cuisses dégoulinantes de sang ? Cette robe blanche que la reine macule de sang en extrayant hors d’elle son nouveau-né était déjà, sur scène, une image assez forte pour un événement qu’il était peu utile de mettre tant en avant… Une reine par ailleurs splendide de bout en bout !

Car cette production est servie par des comédiennes toutes plus magnifiques les unes que les autres. Anne-Pascale Clairembourg, Hermione donc, au port de reine et à la blancheur de colombe, incarne admirablement l’innocence et la dignité. Sa dame de compagnie, tigresse fidèle à sa maîtresse, est jouée par Daphné D’heur, dont la présence et la voix sont d’une sublime puissance. Louise Jacob est dans la première partie de la pièce le sautillant et émouvant petit Mamillius, puis elle échange ses oripeaux de gamin pour ceux du Temps, vieille dame espiègle, pendant un monologue saisissant. Enfin, Sarah Messens est Perdita, la fille d’Hermione et de Léontes. Elle a la grâce incandescente de Natalie Wood dans la Fièvre dans le sang . Bravo Mesdames !

Même rédacteur·ice :

Un conte d’hiver
Adapté de William Shakespeare
Adaptation et mise en scène : Georges Lini, Compagnie Belle de Nuit
Avec Anne-Pascale Clairembourg, Didier Colfs, Daphné D’Heur, Michel de Warzée
Jusqu’au 13 février 2016 au Théâtre Royal du Parc
Du 16 au 28 février 2016 à l’ Atelier Théâtre Jean Vilar