Contes et légendes
Adolescence sur fond de science-fiction

À travers une petite dizaine de contes et légendes, l'auteur et metteur en scène Joël Pommerat propose une exploration de l'adolescence et de la construction de soi... avec des robots en prime !
Qu'est-ce qui fait un homme ou une femme ? Un enfant ou un adulte ? Qu'est-ce qui fait de nous des êtres humains? Contes et Légendes aborde les questionnements qui surgissent inévitablement au moment charnière qu'est l'adolescence, en y faisant intervenir l'intelligence artificielle. Sur scène, les adultes en devenir côtoient des robots sociaux, ou « personnes artificielles », conçus pour vivre parmi eux et les assister au quotidien. Loin d'une dystopie alertant sur les dérives de l'évolution technologique, la pièce utilise ces robots - joués par de vrais acteurs - comme un prisme à travers lequel elle explore nos relations. Ces compagnons fabriqués artificiellement nous renvoient ainsi à la construction de notre propre personnalité : tout comme une intelligence artificielle, un enfant se construit en réponse au monde qui l'entoure. Comment se situer alors vis-à-vis de cet être doué d'une forme de conscience ?

La pièce s'ouvre sur une scène d'une violence presque banale : deux adolescents insultent et menacent une jeune fille. Le texte déborde tant de vulgarité qu'il en installe un malaise. Au fil des scènes suivantes, les jeunes emploient entre eux et face aux adultes un langage cru, violent, mâtiné d'insultes, qui contraste de manière saisissante avec ces « personnes artificielles » toujours calmes et policées. C'est à ces étranges compagnons de vie que les adolescents vont peu à peu livrer leurs angoisses et se confier. L'impressionnante justesse du jeu est pleinement au service de cette dualité : le langage et la gestuelle adolescents, nerveux et décousus, rencontrent des mouvements robotiques extrêmement précis, une voix métallique et un langage posé.
Au cœur du questionnement identitaire, un thème majeur est celui du genre. L'un des tableaux, dans lequel aucun robot n’est présent, montre par exemple de jeunes garçons recevant les enseignements d'un « coach en masculinité ». Le plus sensible du groupe doit apprendre à soutenir le regard, face à ses camarades qui l’insultent et l’oppressent sans relâche. Parce qu’un homme, un vrai, leur dit le professeur, ne se défile pas. Dans un tableau suivant, une mère mourante cherche un robot pour la remplacer dans la gestion des tâches ménagères. Son mari s’en déclare incapable: comment pourrait-il bien jongler entre un travail à plein temps et la gestion du foyer? Au fil des scènes, les adolescents découvrent la drague, entre gêne, stéréotypes et faux-semblants. La frontière entre les genres est questionnée, brouillée, tordue et effacée, tant dans le texte que dans la distribution : il n'y a qu'un seul acteur masculin, tous les rôles d'adolescents, garçons comme filles, étant assurés par des femmes adultes. Une troublante supercherie admirablement réalisée, tant on croirait être face à des comédiens adolescents.

En partant du thème central de l'adolescence, Joël Pommerat nous emmène à travers une dizaine de tableaux explorant tout autant de questions. Un jonglage entre les thèmes - des questions de genre à la place future des intelligences artificielles, en passant par la construction de soi - qui peut donner parfois une impression de décousu. Mais malgré des sujets graves, la pièce parvient à maintenir un ton léger quand il le faut grâce à un humour justement dosé. Le décor est minimaliste: un fond neutre, quelques chaises pour évoquer une salle de classe ou un salon familial, pas plus. Rehaussé de quelques fantaisies technologiques - comme les micros qui donnent aux voix personnes artificielles une sonorité robotique -, celui-ci est pleinement au service de la réflexion. Paradoxalement, l'auteur livre avec cette pièce autour de l'intelligence artificielle une œuvre criante d'humanité.
L'auteurÉmilie De Meyer
Diplômée en ingénieur de gestion, passionnée de comédie musicale, d’écriture et de tout ce qui touche à l’univers Disney.Émilie De Meyer a rédigé 3 articles sur Karoo.
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