critique &
création culturelle
Eclipse totale

Une pièce très émouvante de Céline Delbecq qui aborde avec sensibilité le suicide. Un huis clos familial mis en scène avec délicatesse par l’auteur et porté par des acteurs très inspirés.

Céline Delbecq fonde la Compagnie de la bête noire en mars 2009 pour laquelle elle écrit et met en scène. Leurs créations théâtrales, tant à destination des adolescents ( le Hibou , Supernova ) que du tout public ( Hêtre , Abîme , Éclipse totale ), abordent les thématiques de la famille, de la culpabilité, de l’inceste, de la perte, de la mort… Elle vient d’obtenir le prix de l’Union des artistes/Cocof 2013 pour son texte Poussière que vous pourrez découvrir lors d’une lecture organisée au théâtre les Tanneurs ce samedi 29 mars à 16h00.

Comédienne de formation, je me suis vite réfugiée dans l’écriture et la mise en scène. Je n’ai pas vraiment choisi, ça m’est tombé dessus. Il faut que. Alors j’ai fondé une compagnie, la Compagnie de la bête noire. La bête noire, c’est le petit insecte qui nous tourne autour et qu’on dégage d’un coup de main sans même tourner la tête. C’est la pensée sombre dont on veut se débarrasser. Si possible, sans la regarder. Passer à autre chose, zapper. Mais la bestiole nous colle.

www.dailymotion.com/video/xgwmbc_ecrire-pour-le-theatre-celine-delbecq_creation

Pour Éclipse totale elle a réalisé une enquête auprès de personnes touchées par le suicide dans leur vie personnelle ou professionnelle. Tous ces témoignages ont constitué le point de départ du processus d’écriture.

Une étude de Prévention suicide nous apprend qu’il y a, en Belgique, six à sept suicides par jour. Le suicide nous dérange, nous effraie par sa proximité, son accessibilité. Mais fermer les yeux sur le suicide suffirait-il à nous en écarter ?

Ce qui est normalement la fin, ici sonne comme un début. Le début d’un long chemin pour arriver à dépasser et transformer l’insurmontable. Juliette, vingt ans, étudiante en philosophie, décide d’en finir avec sa vie et se pend. La mère n’est pas au domicile familial et c’est le petit frère qui fera la découverte du corps de sa sœur. Il tentera de se faire aider par la grand-mère avant d’appeler les secours. L’ambulancier arrive, le professionnel, celui qui est censé trouver les mots dans ce genre de situation. Le foyer, représenté par ces trois générations, nous dévoile des personnages profondément humains essayant de trouver une raison, un chemin face à cette mort prématurée. Ils sont coupés du monde à cause d’une tempête de neige, un climat d’isolation se tisse autour de leur maison. Le temps s’est arrêté, la désolation est arrivée. Ici la morte se relève, parle aux vivants pour essayer de combler l’abîme qui s’est ouvert entre eux.

C’est un huis clos familial où la douleur, l’amour, la honte, la tendresse, la culpabilité et la colère se mêlent. Il pourrait être divisé en deux parties : implosion puis explosion. La première est plus introspective, plus intéressante à mon sens, puisque la confusion des personnages face aux sentiments antagonistes qui les assaillent est subtilement rendue. La scénographie permet de nous imaginer une maison défragmentée, un lieu qui peine à retrouver sa place, son identité, comme si tout, même les murs, venait de vivre un séisme. Entre rêve et réalité, tous nos repères sont chamboulés. Le texte est brut mais n’est pas dénué de poésie. Les comédiens jouent leur partition avec brio en évitant au maximum le piège de la sensiblerie. Ils évoluent sur un fil à travers une large palette émotionnelle. Chaque impulsion est sincère, les corps incarnent la mort et la vie coude à coude. La mère (Valérie Bauchau) n’en finit plus de parler pour combler ce silence qui lui est insupportable, cette culpabilité qui la ronge. Juliette (Charlotte Villalonga) tente d’expliquer avec rage et passion les raisons de son geste irrémédiable. Mais la deuxième moitié du spectacle est un peu didactique et enlève de la fluidité à cette mise en scène. Les couches plus inconscientes disparaissent, désincarnent légèrement les personnages en les rendant trop lisses.

Tout au long de la pièce, la vie est là, tapie dans l’ombre, elle surgit où on ne l’attend plus. Le sourire pointe même son nez grâce à la mémé (Anne-Marie Loop) qui apporte des moments de distance dans un récit où la tension dramatique est souvent à son comble. Enfin saluons tout particulièrement la magnifique présence du petit frère (Consolate Siperius) qui arrive à jouer la perte brutale de l’innocence avec force, douceur et profondeur et la performance toute en finesse de Thierry Hellin (l’ambulancier).
L’ensemble nous livre un spectacle très émouvant, parfois drôle, attachant, délicat et terriblement vivant ! Il a le mérite de parler d’un sujet souvent tabou dans notre société et de confirmer l’énorme talent et l’audace de Céline Delbecq. Pari gagné, à suivre donc !

Éclipse totale , Céline Delbecq / Compagnie de la bête noire

Du 25 au 29 mars 2014, à 20h30 aux théâtre Les Tanneurs
75-77, rue des Tanneurs
1000 Bruxelles.

Réservations
Par téléphone au 02 / 512 17 84
Par internet : www.lestanneurs.be (réservation 24h/24h) reservation(Remplacez ces parenthèses par le caractère @)lestanneurs.be
Vendredi 28 mars : rencontre à l’issue de la représentation avec l’équipe artistique en présence de M. Van Malderghem (Fondation Serge et les autres).
Samedi 29 mars à 16h : lecture de Poussière de Céline Delbecq par Janick Daniels, Julie Duroisin, Françoise Neycken et Charlotte Villalonga (Durée : 1h).