critique &
création culturelle
Fin de partie

C’est au Théâtre l’Eden à Charleroi que nous avons vu Silence de la compagnie Night Shop Théâtre , une création présentée en 2013 pour les Rencontres du jeune public à Huy.

Isabelle Darras et Julie Tenret, à l’initiative de ce projet, ont une passion commune « pour la brocante, la récup, les bricolages maison et les objets cassés ». Dans Silence , les objets et les astuces maison débordent de toutes parts pour créer un dispositif scénique ludique. Le jeu de société est d’ailleurs au centre de la pièce puisqu’à certains moments, les deux comédiennes (Isabelle Darras et Madeleine Guévart) jouent au « Qui est-ce? ». En quelques questions-réponses pertinentes, elles brossent les portraits d’Élise et Jean, un couple vivant dans une maison de retraite. Les objets décorant leur chambre évoquent le suranné, le temps révolu, le kitsch. Ils sont les fidèles témoins d’une vie qui a passé : la précieuse boîte à galettes à l’effigie de Fabiola, le cerf empaillé, le chien qui dodeline de la tête et qui sert aussi de sucrier, le transistor… Ces objets sont manipulés avec beaucoup de délicatesse, les rendant précieux et touchants.

Élise et Jean sont des marionnettes plus vraies que nature. Elles sont d’un réalisme à couper le souffle : les rides profondes, les cheveux qui manquent, les lunettes qui glissent sur le nez, les peignoirs en éponge bruns et rouges. On est hypnotisé par leurs lents mouvements, qui engendrent une sorte d’hyper-réalité donnant l’illusion d’une réalité que l’on redécouvre. Cette amplification du réel invite à regarder autrement ces personnes âgées, sans les surestimer ni les sous-estimer. Elle nous rappelle tout simplement qu’elles valent la peine d’être regardées parce qu’elles existent.

Le temps est comme suspendu, disséqué en micro-actions. Ainsi, on se plaît à les observer dans le silence de leur quotidien : la rose qu’on pose dans un vase, la gazette qu’on lit le matin, le baiser échangé sur le front avec tendresse, le pli qu’on défroisse, la musique qu’on allume, le pas de danse qu’on esquisse, le journal qui se transforme en origami… La parole semble ne plus rien apporter tant ces deux-là se connaissent. On est aux antipodes du couple infernal incarné par Gabin et Signoret dans le Chat . Vieillir ensemble semble ici possible et paisible. Puis, le geste d’Élise dérape, le café se renverse et les souvenirs défaillent.

Les comédiennes parlent d’Élise au passé. Jean réapparaît seul sur scène. Il retrouve les traces de l’absente : une musique, la voix, les gestes de la vie à deux. La mort n’est cependant pas oubliée, elle est commémorée sur scène par des préparatifs culinaires. Jean reprend la recette d’Élise et guidé par la voix de celle-ci prépare sur scène des gaufres. Le fer fumant fait saliver la salle toute entière. « Au commencement était la faim », écrivait Lévinas. Beaucoup de cultures ont lié mort et nourriture. Ainsi en Grèce, on mange sur la tombe du défunt, histoire de dire que la vie continue et que la faim demeure.

Du 3 au 12 février au Théâtre de Namur
Le 6 mars aux Chiroux (Liège)
Du 11 au 13 mars au Centre culturel d’Ottignies
Le 14 mars au Centre culturel de Saint-Ghislain
Le 20 mars à la Maison de la culture d’Arlon
Le 24 avril au Centre culturel de Rixensart
Le 10 mai au Centre culturel de Braine-l’Alleud
Du 19 au 24 mai au Théâtre National de Bruxelles

Même rédacteur·ice :

Silence
Écrit par Julie Tenret, Isabelle Darras, Bernard Senny
Mise en scène : Bernard Senny
Avec Madeleine Guévart, Isabelle Darras
Marionnettes : Joachim Jannin et Pascal Berger (têtes), Julie Tenret et Toztli Godinez De Dios (corps)
Scénographie et constructions : Bernard Senny avec Zoé Tenret, Isabelle Darras, Julie Tenret .