En 2015, l’Europe n’a pas encore vécu son lot d’attentats meurtriers perpétrés au nom du djihad. Ses habitants assistent, le plus souvent avec un regard cruellement blasé, aux attentats perpétrés au Moyen-Orient. Distanciés par l’une ou l’autre mer, nous ne savons pas encore que nos entrailles vont bientôt se tordre de chagrin, de douleur ou de colère. Pauvre âme humaine, incapable de résister à la loi cynique du « mort-kilomètre ».

Tom Lanoye fait un détour par la figure maternelle pour aborder l’incompréhensible : le chemin qui change un être innocent en un terroriste.

La mère raconte son enfant : son front plissé, ses tout petits doigts, sa bouche avide. Elle fait lapidairement état de l’absence du père dès les premiers mois de la grossesse – se désignant ainsi comme seule coupable. Elle a accouché par césarienne, a refusé l’anesthésie, voulait sentir la douleur, être là – « On oublie moins vite la douleur que le bonheur ». Elle a donné vie à son enfant. Elle lui a donné sa vie, entièrement. On devine un lien fusionnel entre eux mais aussi la banalité de leur quotidien. Il s’est changé en monstre et a gazé une foule d’innocents.

Pourquoi ? Pourquoi lui ? A-t-il fait d’elle une victime ? Une coupable ? Elle se heurte à la solitude et se débat avec sa culpabilité : « Je chéris mes doutes, admets mes fautes, assume mes manques. […] Et je ne sais ce que je crains le plus. Que ses actes soient effectivement dû à quelque chose dont moi je serais à l’origine. […] Ou que je sois entièrement étrangère à tout cela. Que rien de ce que je lui ai apporté ne l’ait arrêté ou même freiné. » Petit à petit, elle retourne ses questions vers la société. Elle n’est pas naïve, elle déconstruit et nuance les explications prêtes à l’emploi lues dans les journaux ou revendiquées par nos politiques.

En scène quand les spectateurs s’installent, Viviane De Muynck, la mère, profite de l’ombre dans laquelle est plongée le plateau. À mesure que la salle s’obscurcit, le plateau s’éclaire et révèle sa présence. Seule dans un espace délimité par de très hauts murs et flanqué d’un grand bloc en son centre, elle semble ne jamais pouvoir s’en échapper. Lorsque Piet Artefeuille a emmuré la mère dans une prison à perpétuité.

Viviane De Muynck fait résonner le texte de Tom Lanoye avec beaucoup de justesse. L’économie de son jeu ne cède jamais à la tentation du pathos. L’émotion est contenue et la tension d’autant plus palpable. S’il n’est pas impossible qu’une larme s’échappe, c’est avec pudeur et dignité qu’elle finit sa course dans les sillons d’une peau qui a tant vécu qu’elle peut tout jouer.