critique &
création culturelle
Humoriste : l’art de devenir adulte
en restant enfant Entretien avec Youri Garfinkiel

Youri Garfinkiel a trouvé dans l'humour et le seul en scène le terreau idéal où exprimer toutes ses facettes artistiques et célébrer la diversité de la vie. Une vision reflétée aussi dans le collectif de stand-up YouRire dont il est le président, qui met un point d'honneur à développer l'humour sous toutes ses formes.

Véritable « déconfineur » artistique tout-terrain, Youri Garfinkiel voue une passion sans borne aux arts du corps et aux arts de la scène, cultivant danse, chant, arts martiaux, jeu d'acteur et seul en scène. En transposant toutes ces identités sur scène, il parvient à concilier deux composantes de l'humour, essentielles et complémentaires : mise à distance par rapport au réel et à sa part de noirceur, et proximité, fidélité envers la richesse et les multiples dimensions de l'existence, dans la forme et dans le fond.

Depuis un peu plus d'un an et demi, il se consacre également à la gestion d'un collectif composé de plus de 150 humoristes, axé autour du rayonnement de la scène humoristique belge et de la promotion des artistes émergés et émergents. Pour réussir ce pari, YouRire orchestre une palette d'activités, des soirées d'humour jusqu'à une aide administrative pour soutenir le développement et la professionnalisation des artistes, en passant par l'organisation de grands événements et d'ateliers. Entretien.

Tout d'abord, comment un électron libre comme toi vit le confinement ?

J'ai mal vécu récemment l'hospitalisation de ma fille à cause du coronavirus. Par ailleurs, mon côté hyperactif ne fait pas bon ménage avec le confinement en règle générale, mais je compense ce manque d'activités extérieures par les joies de la vie de famille et par une foule de tâches utiles : mettre de l'ordre au niveau administratif, ranger l'appart, me poser des questions par rapport à l'avenir et travailler sur de nouveaux projets artistiques, comme par exemple mon deuxième spectacle.

Le collectif YouRire a-t-il cessé toutes ses activités ou bien favorise-t-il des formes de télétravail ?

Tous les plateaux d'humour ont bien évidemment cessé, mais on s'efforce de rester proactif sur les réseaux sociaux. De plus, on propose une émission hebdomadaire via la chaîne Bigus Tv, sur Twitch, où le public a la possibilité de suivre en direct notre actu. Sans oublier le plus important : maintenir le lien social avec les humoristes et échanger nos idées sur la suite des événements.

Être humoriste, est-ce une manière d'être adulte tout en restant enfant ?

Oui, c'est vrai. D'un côté, il y a le désir de rester un grand enfant, d'être léger, de faire des blagues, de jouer, de lâcher prise et de faire le fou sur scène. D'un autre côté, en dehors de la scène, on retrouve le professionnalisme de l'adulte dans l'activité d'écriture, basée sur l'introspection, la connaissance de soi et l'intelligence émotionnelle.

À titre d'exemple, lors de mon premier spectacle, j'ai traversé une crise identitaire en abordant des questions importantes : Qu’est-ce qui est juste dans la vie ? Qu'est-ce qui est drôle ou ne l'est pas ? Quelle est ma légitimité ? Qui suis-je par rapport aux autres ? Le processus d'écriture force à descendre dans nos méandres intérieurs et à explorer notre part obscure. Selon moi, le drôle et le comique se trouvent davantage dans le côté dysfonctionnel de la vie que dans la sphère des choses limpides, claires et lisses.

Pourrais-tu retracer l'histoire de la création de YouRire ?

Le collectif a réellement démarré ses activités en juin 2018. Auparavant, j'organisais des petits plateaux d'humour à gauche et à droite dans Bruxelles. Nous avons créé la plateforme YouRire dans le but de répondre à un double manque : individuel, avec la volonté de me produire un maximum en tant qu'humoriste et collectif, vu l’absence d'un véritable réseau de scènes où jouer. En comparaison avec la France et le Canada, où la culture du stand-up est solidement ancrée, la Belgique manquait cruellement de lieux de représentation pour humoristes. Elle en comptait seulement deux ou trois. Le point de départ de l'initiative reposait donc sur ce paradoxe entre une forte demande, un nombre croissant d'humoristes, et une faible offre d'espaces d'expression.

© Jean-Louis Masson

Néanmoins, la question du lieu ne résout pas tout car plus nombreuses sont les possibilités de jouer et plus grande est la demande. Cette situation un peu dingue ressemble à la vie : on se dit qu'on a besoin de plus d'argent mais, si on en obtient plus, on finit au bout du compte avec plus de dépenses aussi. C'est un peu le serpent qui se mord la queue, même si globalement le résultat est positif. Enfin, en plus de créer de multiples partenariats avec des café-théâtres, des bars et des centres culturels où mettre en scène des plateaux d'humour, YouRire a aussi organisé des gros événements avec de véritables têtes d'affiche comme Guillermo Guiz par exemple. Une belle reconnaissance pour notre travail.

La situation du stand-up en Belgique a-t-elle évolué positivement depuis le début de ton parcours ?

À défaut de complètement révolutionner le milieu du stand-up en Belgique, le collectif a permis de créer de nombreuses scènes et de lancer plein d'artistes, notamment grâce à la formule des ateliers. En effet, les ateliers ont offert aux jeunes humoristes les moyens de se professionnaliser en apprenant les techniques, les codes et les ficelles du métier grâce à la présence d'humoristes chevronnés désireux de transmettre leur passion et leur savoir. À mes débuts, ce type d'aide et d'encadrement n'existait pas. Je souhaitais donc donner aux autres ce que je n'avais pas reçu moi-même.

De manière générale, la situation du stand-up a connu une évolution positive. À tel point qu'aujourd'hui on n'a plus grand chose à envier à des références en la matière tels que le Canada et la France.

Peut-on dire que trois des fils rouges de ta carrière sont l’intensité, le spectacle et le jeu ?

Oui, clairement. Premièrement, l'opiniâtreté, l'intensité et le dépassement de soi font partie intégrante de mes valeurs et de mes principes de vie. Je m'efforce toujours d'être la meilleure version de moi-même, dans n'importe quelle situation et en présence de n'importe qui. Je définirais d'ailleurs la passion comme un mélange d'amour et de colère. Deuxièmement, j'attache une importance essentielle au spectacle car je ne connais rien de plus intense que l'expérience du partage, sur scène, avec un public. À part le saut en parachute peut-être... La scène est une addiction.

Enfin, le jeu d'acteur est indissociable de mon parcours. Dans mon enfance, je n'avais pas accès à la télévision. Du coup, j'ai compensé ce manque en créant des histoires et en stimulant mon imaginaire. Encore aujourd'hui, je ressens le besoin constant de créer. La différence, c'est que désormais l'art relève d'un choix, alors qu'avant il s'agissait d'une obligation pour survivre psychologiquement. Je m'isole aujourd'hui volontairement pour créer, non pas parce que j'y suis contraint de l'extérieur. Écrire demeure néanmoins vital, c'est une manière d'exister et d'exprimer mon existence.

Quelles sont tes sources d'inspiration dans ta pratique d'humoriste ?

La liste est longue ! Mes modèles quand j'étais enfant : Laurel et Hardy, Charlie Chaplin et Louis de Funès. Aujourd'hui, j'affectionne particulièrement des humoristes belges comme Guillermo Guiz, Alex Vizorek et tant d'autres. J'apprécie aussi des Français (Jérémy Ferrari, Fary, Roman Frayssinet), des Américains (Louis C.K., Kevin Hart), des Canadiens (Rachid Badouri)...

Comment décrirais-tu ton univers artistique de seul en scène ?

Bonne question ! Il s'agit d'un univers très personnel, au plus près de ma vision de la vie car je pars uniquement d'expériences vraies. Par exemple, de mon passé de petit gros et de la place de l'humour dans ma quête pour me trouver en tant qu'individu, pour lâcher prise et prendre de la distance avec les dimensions douloureuses et sombres de ma vie.

Mon parcours est atypique et hors des sentiers battus, marqué par des tas d'activités et d'expériences différentes : théâtre, cinéma, danse, humour, music-hall, arts martiaux... Je viens d'une famille qu'on qualifierait de dysfonctionnelle. Un frère décédé très tôt, beaucoup de douleur et de tristesse à la clé pour mes parents. Plus tard, j'ai connu une grosse déprime à la mort de mon père, survenue quelques jours avant mes 21 ans. Le fait d'avoir été le premier à découvrir son corps m'a traumatisé. Heureusement, l'humour et l'art m'ont aidé à accepter ma situation et à vivre avec mes démons.

Pour en revenir à mon univers, je dirais qu'il est complexe. On retrouve dans mes spectacles une diversité d'éléments, reflétant, je l'espère, la complexité et la richesse de la vie : humour noir, humour juif, music-hall, danse, humour populaire, humour trash ou graveleux. Ainsi qu'une forte dimension théâtrale grâce à la mise en scène assurée par Cathy Thomas, mais sans surjouer ni tomber dans la redondance. Au-delà de l'humour et des effets scéniques, je cherche aussi à créer des moments intimes, vrais et authentiques en ponctuant le spectacle par une fin émouvante où j'explique brièvement d'où je viens et comment l'art, en particulier l'humour, m'a sauvé.

Qu'est-ce qu’un spectacle réussi pour toi ?

Tout dépend du type de spectacle. Dans le domaine de l'humour, il est  indispensable de faire rire les gens. En ce qui me concerne, je cherche toutefois à ne pas réduire l'humour à l'humoristique. À éviter de faire de la vanne uniquement pour faire de la vanne. J'ai besoin d'apporter de la profondeur, des messages, de faire vivre des choses intenses et des émotions au public, de l'emmener dans un univers différent, de créer un sentiment d'identification par rapport à ce qui est raconté sur scène, et de sortir les gens de leur zone de confort. C'est là que réside l'un des pièges de l'humour : s'enfermer dans la blague pour la blague. Plus concrètement, un spectacle réussi comprend un début, un milieu et une fin. Thèse, antithèse, synthèse, si l'on veut.

Quels conseils donnerais-tu aux jeunes désireux se lancer dans le stand-up ?

De changer de métier (rire) ! Plus sérieusement, je les encourage à s'instruire, à voir ce que les autres font, à assister à des spectacles, à lire, à suivre des formations, à écouter des podcasts et surtout... à écrire ! Tout aussi important : vivre un maximum d'expériences de vie afin de parler de choses vraies et authentiques. Je déconseillerais de traiter des sujets rebattus pour favoriser les blagues personnalisées que personne d'autre que vous n'aurait pu faire.

J’encourage vraiment à ne pas avoir peur de l'échec parce que dans ce métier, des râteaux, on s'en prend plein la gueule. L'important n'est pas de tomber, mais de toujours se relever et d'accepter l'échec. Il faut savoir échouer sinon on échoue à apprendre.

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