L’engagement d’un public fidèle permettra aux lieux de spectacle de sortir de la crise culturelle liée aux mesures sanitaires. C’est du moins le message que suggère le KVS avec Just as Long as You Are There , une série de solos où l’individu se définit par l’impulsion de l’autre.
Un parterre de chaises en plastique rouges, quelques barrières Nadar, une scène improvisée contre la porte arrière, des passants qui s’arrêtent pour entr’apercevoir la performance qui s’offre à eux, les voitures qui cahotent bruyamment sur les pavées des ruelles alentours… Ces 15 et 17 septembre, le KVS a profité des derniers rayons de soleil estival pour introduire sa nouvelle saison de danse en plein air, sur la plaine à l’arrière du bâtiment historique. Finalement, la singularité de la situation n’empêche pas le spectateur de faire abstraction du cadre et de se plonger dans l’univers proposé par les cinq solos de Just as Long as You Are There, menés par Sarah Deppe (France), Alex Akuete (Belgique/Nigeria), Briana Ashley Stuart (États-Unis), Matteo Sedda (Italie) et Nadine Baboy (Belgique), visage de cette nouvelle saison du Théâtre royal flamand.
Le théâtre fait l’impossible pour déjouer les mesures sanitaires imposées par la covid, et le spectacle se vit comme un prétexte pour retrouver enfin le monde de la danse. La soirée emprunte son appellation aux paroles du titre « Dancing in the street » de David Bowie et Mick Jagger : Just as Long as You Are There ‒ tant que vous serez là. Et le clin d’œil veut tout dire : le spectacle devient l’occasion de célébrer par la danse des retrouvailles après des mois de confinement puis de combat pour réussir à survivre malgré la fermeture, longue et pénible, des lieux de spectacle. Mais il s’agit surtout de souligner le plaisir d’être ensemble, et l’importance du public qui fait battre le cœur du KVS. C’est là que le titre du spectacle prend tout son sens. Just as Long as You Are There ‒ comme une promesse murmurée contre vents et marées : tant que vous serez là, nous le serons aussi, nous nous battrons pour vous, artistes comme public. Un contrat de confiance qui lie les deux parties et sous-tend plus que jamais le besoin des lieux culturels de leur audience. Une promesse, oui, mais aussi un cri d’espoir vers un avenir plus assuré, soutenu par un public fidèle.
À l’instar du titre de Bowie et Jagger, caractérisé par son côté solaire et entraînant, la présentation des solos se veut donc comme un positif retour à la vie, à la joie, au partage de la danse et de moments de spectacle. Pourtant les solos de la soirée prennent un tour plutôt sombre, tous (ou presque) résonnent d’une part d’angoisse sous-jacente puis dominante, soutenue par l’impression de solitude et de lutte que chacun dégage.
Si les solos, par définition, proposent des seuls en scène, chaque danseur·se a dû faire face à une sorte d’adversité invisible et contraignante. Chacun incarne ainsi la solitude face à des incursions intrusives du monde extérieur : Nadine Baboy semble percutée par les paroles d’un slam qui rappelle les enjeux sociétaux actuels, Sarah Deppe se recroqueville sur elle-même avec un air effrayé au rythme de sons grinçants et cliquetants, Matteo Sedda s’essouffle en courant inlassablement sur place, affichant des expressions plus fausses et superficielles les unes que les autres… Tous font état d’une part de peur, de débat intérieur, de repli sur soi. Mais le repli est forcé, en réaction à un environnement oppressant. Là encore, le lien avec la situation sanitaire peut être induit : des solos comme un écho aux mois d’isolement forcé, où la confrontation à l’autre peut provoquer son lot d’angoisse, d’affrontement, de paraître.
La seule exception à cette lutte essoufflante : la performance de Briana Ashley Stuart, qui arrive comme une respiration bienveillante juste à la moitié de la représentation. La jeune femme propose une performance participative centrée sur le stepping, où rythme et chant prennent le pas sur la danse en tant que telle. Armée d’un micro-casque et de chaussures à talon qui résonnent, elle propose au public de répéter à sa suite des enchaînements de claquement de mains, de pieds, de poing sur la poitrine, en un moment plein de légèreté et de bonne humeur.
Chez Briana Ashley Stuart, la porte d’entrée reste personnelle. Dans une imitation de la comptine de Julie Andrews, « My Favourite Things », elle liste une série de choses qu’elle aime et chérit, la mettant, elle et ses préoccupations, au centre de la représentation. Toutefois sa performance est transcendée par la participation des autres. Le principe se veut à l’exacte encontre du reste des solos, incluant positivement l’autre dans son univers personnel, bien qu'il soutienne la morale sous-jacente de l’ensemble du spectacle.
Si les solos manquent de liens et de cohérence, présentant plutôt les travaux de chaque artiste, tous soulignent la place de l’individualité, de l’unicité, de l’importance de soi mais aussi du fait que les autres ne peuvent être ignorés et participent à la construction personnelle. Dans la plupart des cas proposés par la soirée, l’autre est perçu comme une menace, mais Briana Ashley Stuart rappelle également que cette altérité peut aussi être porteuse. Avec ce message, le solo central souligne implicitement la volonté du KVS qui compte lui aussi sur les autres : Just as Long as You Are There.