critique &
création culturelle
KFDA 2016
La Caverne de Quesne

En tête d’affiche du Kunstenfestivaldesarts 2016, Philippe Quesne nous plonge dans son intrigante Nuit des taupes .

Philippe Quesne, directeur du Théâtre des Amandiers à Nanterre depuis 2013, est au départ plasticien et scénographe. Et ça se sent : la Nuit des taupes semble avoir pour principale vocation d’habiter son décor. Quesne a conçu une grotte à mi-chemin entre du toc façon Disneyland et du bricolage type fancy-fair (de luxe), tout en stalagmites de papier mâché et parois en plastique qui donnent envie d’y faire du toboggan. Pour achever le tableau, il faut noter le travail sonore assez fascinant, qui parvient à rendre l’ambiance feutrée et inquiétante d’une caverne à l’écart du monde. Les bruits extérieurs sont abstraits, réduits à des vrombissements non identifiables qui se muent en notes de musique, jouée live par les comédiens en costumes de taupe (oui). On retient notamment une troublante version de Ne me quitte pas au thérémine – cet instrument dont on joue sans le toucher et qui produit essentiellement des hululements.

À l’image de cette performance, la Nuit des taupes est un spectacle un peu déstabilisant, avec tout ce que ça charrie à la fois d’intérêt et d’incompréhension potentielle. D’abord, le spectacle est sans autre parole que les grognements des taupes géantes qui en sont les personnages. On les suit à travers trois phases. La première se déroule dans un espace clos de planches en aggloméré, caverne dans la caverne, où s’entassent les taupes qui y vivent micro et maxi événements, naissance et mort comprises.

C’est aussi l’occasion d’une apothéose musicale assez géniale avec une montée en puissance très post-rock. Photo © Martin Argyroglo.

Ensuite, la sortie de la caverne donne lieu à une destruction très comique de leur cabane par ces animaux patauds aux trop grosses pattes, avant de les voir s’enjailler dans le décor qui n’attendait qu’elles. Enfin, la dernière partie s’engage dans un ton encore plus ésotérico-psychédélique, impliquant un écran, des projections, un clin d’œil à Platon, des citations indéterminées dans plusieurs langues, des trottinettes électriques. C’est aussi l’occasion d’une apothéose musicale assez géniale avec une montée en puissance très post-rock – quoi de plus post-rock que les vibrations sourdes entendues dans une caverne ?

La grotte de Quesne est un espace glauque et comique à la fois, suspendu hors du temps solaire. Le contraste entre l’ambiance inquiétante et l’humour presque potache du début du spectacle est assez attachant. Dommage que, sans connaître le travail de Quesne, il était parfois difficile de comprendre ce qu’on nous voulait, en tout cas dans la version qui a été présentée à la première, le 6 mai. Sans doute le spectacle doit-il encore un peu s’affûter. Cela explique l’ambiance étrange lors des applaudissements : alors qu’une partie des spectateurs applaudissaient à tout rompre, d’autres, passés les quelques claps de circonstance, se sont levés avant le retour des lumières.

La Nuit des taupes est le pendant scénique du projet Welcome to Caveland , à l’honneur aux Brigittines, où le festival a établi son QG cette année. Tout au long du mois, on pourra y voir des concerts, interventions d’artistes et de théoriciens, autour du thème de la grotte, en parallèle au spectacle : pour y voir plus clair, il s’agira d’y faire un tour.

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