critique &
création culturelle
La noce chez les petits bourgeois
Une adaptation en surface ?

Un décor kitsch, des personnages exubérants et surtout une belle liberté d’improvisation. Le mélange semblait pouvoir fonctionner, mais la mise en scène d’Oskaras Korsunovas de La noce chez les petits bourgeois divise.

Début des années 20, Bertolt Brecht dépeint le portrait d’une famille embourbée dans cette bourgeoisie enviable mais bancale, comme le mobilier des époux qui se détruit au fur et à mesure de la pièce. Les accidents malheureux se succèdent et les mariés finissent leur soirée seuls, abandonnés de tous leurs proches. Ils sont perdus dans cette époque où les valeurs et les coutumes sont en pleine évolution. Ce déclin des traditions s’accompagne de la montée de l’extrême droite en Allemagne. Le père de famille, particulièrement, respire ce racisme banal et dangereux qui perdure encore aujourd’hui.

L’envie de contemporanéiser les faits est compréhensible, et les liens se font facilement. Peut-être trop facilement. Rien de nouveau ne semble mis en lumière et quelque chose nous empêche d’entrer en empathie avec les personnages. Pourtant l’entrée en matière s’annonçait prometteuse…

Nous entrons dans la grande salle du théâtre national. Les acteurs sont assis sur le plateau et nous font entrer dans l’histoire de manière festive, naturelle et bon enfant. La petite sœur de la mariée nous distribue des bonbons et nous met tout de suite dans la confidence pour faire une surprise à sa sœur et à son époux. Tout le monde est déjà sous le charme de la jeune fille qui dégage une vive énergie solaire et lorsque les mariés arrivent, nous nous levons tous et les applaudissons. Certains jettent même du riz ! L’atmosphère est gaie. Nous profitons de l’ambiance décalée que créent la scénographie très épurée mais néanmoins extravagante, et les costumes soignés mais parfois stéréotypés dans leur actualisation. C’est comme si nous faisions partie du repas. Et c’est avec impatience que nous attendons d’en savoir plus sur les membres de cette famille.

Seulement une fois que les lumières de la salle s’éteignent et que les personnages se retrouvent assis autour de la table, le temps se fait davantage sentir. La pièce tourne à la discussion et l’actualisation des sujets débattus ne reste qu’un clin d’œil amusant aux spectateurs. Le père, qui n’arrête pas de raconter ses vieilles anecdotes, l’ami du marié qui essaie d’accaparer la mariée, la meilleure amie qui finit par sous-entendre que la mariée est enceinte, la jeune sœur qui couche avec un invité sous la table… Tous ces personnages pourraient nous toucher davantage et nous rappeler notre entourage si la part de sensibilité qu’ils possèdent certainement était plus perceptible.

Les catastrophes s’enchaînent et, l’alcool aidant, le mobilier et les relations se brisent. Le rythme s’accélère. Mais les actions dramatiques se succèdent maintenant si rapidement et de manière si farcesque que le rire ne s’arrête pas ou peu. La densité des enjeux s’en retrouve quelque peu atténuée et il devient difficile d’avoir de l’empathie pour les personnages. Certains d’entre eux restent tout de même attachants mais c’est comme si nous les regardions de très loin, leurs humeurs ne nous atteignent pas. Lorsque la décadence atteint à son maximum et que les personnages en arrivent aux mains, on apprécie que le côté ridicule des situations soit totalement assumé, cela rend enfin un peu d’humanité à cette famille.

L’étrangeté du rythme est peut-être due à la part d’improvisation qu’Oskaras Korsunovas laisse à ses acteurs. On peut tout de même y trouver un bel intérêt : chacun d’entre eux donne beaucoup sur scène, s’amuse et tente à sa manière de faire avancer l’histoire mais cela reste parfois compliqué. Leur réelle envie de partager avec nous ne suffit pas à communiquer une lecture intelligible de La noce chez les petits bourgeois . Chaque représentation est absolument unique mais pour que la sauce prenne, la recette doit être respectée. Par trop de légèreté et des erreurs de dosage, l’œuvre de Brecht se trouve en ce mercredi 13 février quelque peu lissée, et il devient difficile de comprendre toutes ses subtilités. À aucun moment les masques ne semblent tomber, par exemple. On ne voit guère l’évolution des personnages. Et celle-ci est essentielle pour comprendre la putréfaction de ce petit monde bourgeois, l’asphyxie de cette classe sociale en deuil de repères.

Quel sens donner alors à tout cela ? Que venons-nous de vivre ? Qu’apporte l’actualisation des sujets traités ? Quelles problématiques Oskaras Korsunovas et ses acteurs ont-ils essayé de soulever ?

La noce chez les petits bourgeois , comédie satirique pleine d’événements incongrus raconte aussi l’incapacité d’un couple à échapper à sa fragile condition sociale. Ils luttent autant qu’ils le peuvent pour s’extirper de cette classe à laquelle ils ne désirent plus appartenir, mais n’y parviennent pas. Ils se déchirent et finissent par accepter leur réalité écœurante. La manière dont ces événements sont traités importe donc beaucoup puisqu’ils sont censés être les obstacles à l’émancipation des jeunes mariés. Les crises internes doivent avoir une couleur dramatique pour amener le public à se poser les bonnes questions. Ici, les catastrophes s’ajoutant les unes aux autres n’ont finalement que peu de poids. Chaque action doit être porteuse de sens, mais celui-ci reste malheureusement assez obscur pour le spectateur. L’histoire ne se raconte pas totalement et nous nous retrouvons perdus dans un océan d’accidents sans dramaturgie claire pour nous guider.

Le déroulement de ce repas de noce semble irréel et ce n’est pas ça qui est déplaisant. Mais lorsqu’on sort de la salle, une impression floue persiste sur l’histoire qu’ils ont voulu partager avec nous. Nous laissant, au bout du compte, quelque peu indifférents.

Même rédacteur·ice :

La noce chez les petits bourgeois

de Bertolt Brecht

Mise en scène de Oskaras Koršunovas

Avec Karolis Vilka, Zygimante Elena Jakstaite, Kestutis Cicenas, Viktorija Zukauskaite, Greta Petrovskyte, Lukas Malinauskas, Oskar Vygonovski, Artiom Rybakov, Kamile Petruskeviciute

Au Théâtre National les 13, 14 et 15 février 2019