critique &
création culturelle
Le Jardin
Sainte Marie et les poulets en décomposition

Avec Le Jardin , le collectif Greta Koetz nous convie à des retrouvailles familiales mouvementées. La grande salle du théâtre Les Tanneurs devient un terrain vague où la poésie crue des êtres qui le traversent prend racine. L’histoire proposée est une farce tragi-comique dans laquelle le cœur oscille entre émerveillement et désillusion.

La lumière sur scène est tamisée. Les personnages sont assis aux bords du plateau. Iels attendent tranquillement que tout le monde soit installé. Toujours dans la pénombre, l’un d’eux se lève et dit à ses partenaires : « On se rappelle ce qu’on s’est dit ? On essaye de se situer dans un endroit entre la blague et le sacré. Et on voit si on arrive à toucher quelque chose ? » Il va placer une table. La carcasse d’un volatile tombe juste à l’endroit où il l’a mise. Un homme élégant va se placer sur le piano à queue, il se met à jouer un air mélancolique. Lorsqu’il a fini, les projecteurs s’allument. Fritz, environ 14 ans, vient nous saluer. Très vite, nous comprenons que nous sommes invité.e.s à traverser la narration sans quatrième mur. Les interactions que nous entretiendrons avec les personnages tout au long de la pièce seront agréables et justes. Boire une tisane, exprimer sa joie, parier sur le prix d’une nuit dans une cabane Airbnb, chaque proposition laisse le choix aux spectateur.ice.s, nous ne serons pas forcé.e.s. Le consentement sera même mentionné par Nicolas lorsqu’il verra Antoine être un peu trop brusque avec Marie, fortement alcoolisée. Nous apprécierons également l’usage du langage inclusif.

© A. Piemme / AML

Le collectif Greta Koetz est né en 2018. Réuni.e.s par leur envie de créer, les comédien.ne.s ont rapidement opté pour une manière de travailler horizontale. « Les derniers ne seront pas les premiers, on explosera les hiérarchies » dit le personnage de Marie dans Le Jardin . Pour leur premier spectacle, On est sauvage comme on peut , toutes les décisions ont été prises collectivement. Pour Le Jardin , puisqu’il s’agit d’une reprise de son solo carte blanche (travail de fin d’année au Conservatoire de Liège), la mise en scène est de Thomas Dubot, un membre du collectif Greta Koetz. La création reste, cependant, nourrie par chacun.e.

Marie Alié, Léa Romagny, Sami Dubot, Antoine Herbulot et Nicolas Payet interprètent respectivement Marie, Fritz, un musicien, Antoine et Nicolas. La limite entre le réel et la fiction est déjà troublée. Dans leurs rêveries, iels ont investi comme terrain de jeu un jardin à la campagne. Ce n’est pas leur propriété, iels ne sont que locataires. La famille est composée de trois adelphes. Marie, une tête brûlée qui attend un enfant et se prend pour la vierge, Fritz, le jeune étourdi et Antoine, le terre à terre, un peu chiant. Nicolas est un ancien ami de Marie venu s’installer dans sa chambre pendant son internement. Il n’est pas devenu un écrivain célèbre lorsqu’il est parti pour la ville… Comme dans une Cerisaie contemporaine, le terrain va être vendu. Ces quatre extravagant.e.s, après l’apéro de bienvenue organisé pour Marie, tenteront d’éviter le conflit jusqu’à ce que celui-ci ne leur éclate finalement au visage.

© A. Piemme / AML

Entre les étincelles d’espoir et le néant, les moments poétiques et décalés sont nombreux. L’étrangeté naît de l’accumulation de références hétéroclites et de la cohabitation des paradoxes. Il y a les chansons grivoises interprétées à la manière chorale de l’église, les blagues aux enterrements et l’alcoolisme de la future mère. Le jeu est également nuancé, sur le fil. Les contradictions créent un plaisir de l’inattendu pour les spectateur.ice.s. Les personnages, et en particulier Marie, passent de l’ironie à un état de fragilité déchirant. D’autres éléments de surprises sont matériels. L’apparition d’une mobylette ou les feux d’artifices pour l’anniversaire de Marie laissent le public ébahi. L’effet d’étonnement se déploie également grâce à la musique. Par exemple, à la suite à la dégustation d’un bon vin, iels se mettent à improviser en vocalisant la bouche fermée puis finissent par chanter. Les compositions musicales servent à tout instant la dramaturgie et installent des atmosphères adéquates et envoûtantes. Le surprenant donne l’espoir que tout n’a pas déjà été vécu et que chaque récit a sa particularité.

Le Jardin aborde diverses thématiques auxquelles nous sommes toustes relié.e.s. Que ce soit le besoin de reconnaissance, la honte, l’amour, la mort, la folie ou le besoin d’enchantement, les histoires dans lesquelles nous sommes embarqué.e.s résonnent en nous. Tant d’espaces sont encore à explorer, de tant de manières différentes. Notre rêverie, en sortant du théâtre, reste imprégnée de leurs imaginaires. Des questions se soulèvent. Et si la peur de la résignation dont sont empreints les personnages étaient la preuve que toutes les histoires valent encore la peine d’être vécues pour peine que l’on y investisse notre propre poésie ?

Même rédacteur·ice :

Le Jardin

Création : Collectif Greta Koetz

Mise en scène : Thomas Dubot
Écriture et jeu : Marie Alié, Sami Dubot, Thomas Dubot, Antoine Herbulot, Nicolas Payet, Léa Romagny
Une production du Collectif Greta Koetz
Vu au théâtre Les Tanneurs le 30 Novembre 2021