critique &
création culturelle
Love and Money
de la politesse intéressée à l’enthousiasme ému…

Comment écrit-on une critique de spectacle ? Y a-t-il une recette ? C’est la question que nous nous posons avec Regards Spectaculaires et Karoo le jeudi 26 avril, quelques jours après avoir vu

Comment écrit-on une critique de spectacle ? Y a-t-il une recette ? C’est la question que nous nous posons avec Regards Spectaculaires et Karoo le jeudi 26 avril, quelques jours après avoir vu

Love and Money

de Dennis Kelly au Théâtre de Poche dans une mise en scène de Julien Rombaux.

Pour rendre la lecture de cette article plus compréhensible, voici un bref résumé de la pièce (attention, big spoilers alert).

Love and Money

est un texte de Dennis Kelly. Il retrace l’histoire tragique de Jess et David. Jess, en quête de sens dans sa vie et se sentant en inadéquation par rapport au monde, consomme frénétiquement, contracte des emprunts et s’enfonce dans les dettes. David, son mari, est contraint d’abandonner son emploi de professeur pour un poste de vendeur, qui gagne plus. Jess finit par se “suicider”, aidée par son mari. Le texte met sans cesse en relation, voire en concurrence l’amour et l’argent : les intérêts économiques corrompent le plus pur des amours.

Ils nous proposent une méthode, à ne pas respecter à la lettre, surtout, précisent-ils, mais qui peut débloquer.

Première étape : nous listons ensemble tous les éléments qui peuvent “composer” un spectacle : mise en scène, jeu, costumes, lumière, scénographie, texte (la forme) mais aussi : la salle, le programme, le théâtre, les critiques déjà lues, notre voisin de siège (le contexte), mais encore : l’intention, la problématique, le synopsis (le fond). Pour chaque œuvre vue, il peut être plus pertinent de mettre tel ou tel élément au centre de la critique. Ensuite : nous écrivons, chacun.e pour soi, un résumé de la pièce, afin de se la remémorer et remettre nos idées au clair. Étape suivante : pour le spectacle Love and Money, quels seraient les éléments parmi ceux listés que l’on pourrait analyser afin de dégager une critique intéressante de la pièce ?

Les participant.e.s ne sont pas tou.te.s d’accord mais des réponses reviennent : le texte, le message et le jeu des comédien.ne.s semblent essentiels à ce spectacle-ci.

C’est aussi les éléments sur lesquels insistaient Julien Rombaux, le metteur en scène, lorsque nous l’avons rencontré à l’issue de la représentation. Il nous explique diriger les comédien.ne.s de façon à ce que le texte soit dit le plus simplement possible, pour qu’on l’entende de manière claire et nette, sans filtre de psychologisation ou composition. Quant au message, il en parle suite à nos questions : pour lui, il s’agit d’un spectacle sur l’amour et les rapports humains, plutôt que d’être un spectacle sur le capitalisme, les banques et la dette. C’est un point de vue tranché sur un texte qui mélange suspens, monologues naïfs sur l’amour, discours cyniques sur l’argent et qui, en conclusion, critique un système qui place l’argent avant l’humain.

Nous sommes d’accord avec lui puisque cette approche du jeu au service du texte et le parti pris sur le message de la pièce sont revenus comme éléments centraux d’une éventuelle critique. C’est sur la manière de les interpréter, qu’en faire, qu’en dire, que les avis sont plus divisés.

Le texte et le jeu, dans nos discussions, semblaient indissociables, c’est-à-dire que chaque fois qu’on parlait de l’un, c’était en fonction de l’autre. Pour certain.e.s, le jeu était trop “effacé” par rapport au texte, tragique et intense. Pour d’autres, les comédien.ne.s, dans leur retenue, étaient au contraire très touchants, leurs corps très justes et leur interprétation permettait de bien entendre le texte. Le monologue de fin et son interprétation – l’amour plus fort que l’argent – crée aussi des débats. Certain.e.s le voient comme ironique – avec un grand LOVE en lettres de néons qui descend, une lumière dans les tons rouges et une actrice toute en pudeur –, ce qui leur plaît ; d’autres le prennent au premier degré et restent perplexes devant sa naïveté ; d’autres encore le prennent au premier degré mais ça les touche.

Si le message sur la confusion faite dans notre société entre l’amour et l’argent  parle à certain.e.s spectat.eur.rice.s, d’autres ne comprennent pas l’option de la mise en scène. Pourquoi choisir un texte avec un contenu aussi violent et tragique si c’est pour finir par un monologue presque doux, s’il n’est pas ironique ? Finalement nous ne parvenons pas à comprendre le point de vue que la mise en scène porte sur le texte, nous restons divisés. C’est sans doute pour cela que cette discussion reste très subjective : nos sentiments autour du spectacle se heurtent mais ne concordent pas à une analyse précise du spectacle, comme cela arrive parfois au cours de nos ateliers.

Nous concluons que le texte de Dennis Kelly offre une sobriété de jeu et une scénographie efficaces, mais sans lecture dramaturgique orientée. Libre à chacun.e de s’y reconnaître, ou pas. En conséquence, nos participant.e.s ont été touché.e.s à différents niveaux, de la politesse intéressée à l’enthousiasme sincère et ému.

La « méthode critique » de Karoo nous a permis de vivre une discussion vive et fluide. Nous y avons co-écrit une critique orale contradictoire, faite d’aller-retours, d’interprétations, de méta-interprétations, de points de vue forts. Quant à défendre l’un ou l’autre parti de tout ce qui s’est dit, je propose l’exercice à celleux de nos participant.e.s qui s’en sentent la plume…

Même rédacteur·ice :

Love & Money
De Dennis Kelly

Mise en scène de Julien Rombaux

Assistant à la mise en scène : Alexis Garcia

Avec Sarah Espour, Gwendoline Gauthier, Sarah Lefèvre, Magali Pinglaut, Cédric Coomans et Philippe Grand’Henry