critique &
création culturelle
Une maison de poupée
Nora, héroïne des temps perdus?

Du 13 au 23 décembre, Thibaut Wenger présente

Du 13 au 23 décembre, Thibaut Wenger présente

Une maison de poupée

d’Henrik Ibsen au Théâtre National. Pourtant scandaleuse au XIX

e

siècle, cette mise en scène du célèbre huis clos ne semble pas parvenir à provoquer une polémique similaire.

Sur le plateau, le décor familier d’un salon classique, deux portes, une table, un sofa, un poêle à bois, un orgue et trois murs. Une femme entre et s’installe devant l’instrument. Telle une débutante, elle interprète un pot-pourri d’airs connus, de Bach aux chants de Noël. La musique est éparse, se cherche, puis s’arrête. Le noir envahit la salle et l’histoire commence.

Des cadeaux sous les bras, Nora s’engouffre joyeusement sur scène. Elle porte une mini-jupe verte et ne tarde pas à dévoiler au spectateur le haut de ses cuisses en se penchant d’emblée vers le sofa où elle a posé ses paquets. Torvald, son mari, lui parle depuis son bureau. Les paroles rejoignent l’intonation des voix, le ton est donné : Nora est une femme frivole, aguicheuse, enfantine. De cette façon, elle complaît à son mari. Lui ne voit en elle qu’une poupée dépensière et sexuelle, à prendre sous son aile. Il la possède, l’infantilise, la surnomme de tous les noms d’oiseaux, avec la justesse d’un ornithologue. D’autres personnages font leur entrée et la valse commence.

Dans une mise en scène et un jeu qui recherchent un réalisme actuel, le personnage principal – Nora – est confronté à son passé. Peu à peu, un secret enfoui ressurgit et ébranle les murs de la maison. Nora se dévoile et tombe peu à peu dans une folie noire. Sa chute et ses émotions s’accompagnent d’un jeu de lumières et de couleurs, ainsi que d’une bande-son alliant chants de Noël et tapis sonore, grave et intrigant.

Parallèlement, l’humiliation continue vécue à travers son ménage pousse la femme à se réaliser et à affirmer ses convictions, face à un mari et à une société la considérant comme un enfant.

Le couple lui-même est contemporain, cosmopolite, Nora parlant avec un fort accent néerlandophone. De cette façon, d’après Thibaut Wenger, le spectateur est amené à s’identifier au spectacle, à reconnaître son propre monde et à le remettre en question.

Ce spectacle glorifie l’auteur, Henrik Ibsen, et sa pièce, créée en 1879. Pour Thibaut Wenger, le propos défendu dans le texte lui-même est profondément d’actualité. On y parle d’ailleurs d’amour, de mariage, de mensonge, d’argent, de culpabilité, de solitude, d’émancipation féminine, de violence conjugale. De grands malheurs, de grandes questions qui façonnent aujourd’hui notre société occidentale. Pour moderniser le spectacle, et rencontrer un public actuel, la recette du metteur en scène est simple : transposer la pièce d’origine dans un décor moderne (scénographie, costumes, musiques). Le couple lui-même est contemporain, cosmopolite , Nora s’exprimant avec un fort accent néerlandophone. De cette façon, d’après Thibaut Wenger, le spectateur est amené à s’identifier au spectacle, à reconnaître son propre monde et à le remettre en question.

Est-ce suffisant ? Bercé par une histoire racontée par des personnages qui ne sont pas conscients d’être observés, le spectateur, confortablement installé, ronronne. Passée une heure, certains commencent à s’agiter et à commenter à voix basse le spectacle. « Arrête de parler, on a compris que tu allais te casser ! », murmure dans sa barbe ma voisine de siège, prête à bondir, non pas telle Marianne de France, en révolutionnaire, ne désirant nullement sauver Nora de sa cage dorée mais plutôt mue par un profond désir de se lever et d’aller prendre un verre au bar pour discuter.

Dans le jeu des acteurs, un aspect est intéressant : l’ironie. Utilisée à foison, elle crée un décalage entre ce que dit et ce que pense l’acteur, un pont entre le personnage de fiction et le spectateur. Un point de vue personnel sur la pièce d’origine s’en dégage. Pour atteindre cette ironie, les traits des personnages sont grossis. À tel point qu’ils frôlent malheureusement la caricature grotesque.

Lumières et musiques appuient les ressentis des personnages. La scène est de plus en plus sombre, accompagnant la descente aux enfers de Nora. Le rouge représente la colère de son mari, le créancier Krogstad est couplé à un fond sonore mystérieux et effrayant… Beaucoup de redondances dans cette chorégraphie lumino-musicale. L’orgue sur scène, pourtant mis en exergue de façon originale au début du spectacle, est trop peu utilisé. Il n’est qu’un élément du décor employé au premier degré, lorsque les personnages en ont besoin, alors que son timbre, sa puissance, la multitude de possibilités musicales qu’il offre pourraient faire de lui un personnage à part entière.

Si Nora est certes un personnage intéressant, et que d’étroites relations lient la société d’Ibsen et la nôtre, une réelle modernisation de la pièce d’origine est indispensable pour ébranler le quotidien du spectateur, remettre en question les rapports qu’il entretient avec le mariage ou avec l’argent, les relations entre hommes et femmes, entre femmes et société. Sans quoi, Une maison de poupée n’est plus qu’une histoire du passé qui n’évoque que superficiellement le présent.

Même rédacteur·ice :

Une maison de poupées

Mis en scène par Thibaut Wenger (et la compagnie Premiers pas )
Avec Berdine Nusselder, Emilie Maréchal, Mathieu Besnard, Fabien Magry, Jean-François Wolff
Scénographie de Didier Payen
Traduction d’Éloi Recoing

Vu le 15 décembre 2016 au Théâtre National