critique &
création culturelle
    N E I G E
    Un geste graphique pour signer un fabuleux dialogue entre poésie et batterie

    Une danse de mots légers, juste quelques petits sons roulés, qui saisissent en un même temps le caractère dérisoire du quotidien et la pièce dramatique qui s’y joue. Préparez-vous à être soufflés : voici N E I G E !

    « Apprivoiser la distance ! » C’est peut-être du côté de cette dynamique qu’il convient de comprendre l’équilibre du dialogue entre la poétesse Catherine Barsics et le batteur Tom Malmendier. Lorsqu’ils ont décidé de travailler ensemble en 2019, les deux artistes ont dû cerner la « langue » de l’autre : prendre la mesure de l’étrangeté et découvrir les contours d’univers apparemment dissemblables. Se tenir en respect, se toiser. Maîtriser progressivement l’art de la chute. Après deux années de collaboration, on n’assiste plus guère aux tâtonnements d’une rencontre, même si l’histoire nous est toujours contée entre les lignes. Pas de maladresse, ni de malentendu. L’un écoute les silences et l’autre y répond. Et quelle réponse ! Il existe entre la voix de la poétesse et celle de la batterie, une histoire aussi indicible et magique que l’espace qui tient des lettres ensemble sur une page imprimée. C’est en effet dans l’entre-deux (« l’entre eux deux »), dans l’implicite d’un regard complice, dans le non-dit d’un hochement de tête, que l’espace qui sépare leurs mondes respectifs se résorbe et génère une force quasi physique, une puissance d’emportement rare et redoutable. Une impression d’autant plus bouleversante que le spectacle est éphémère. La voix du duo apparaît, dans un premier temps, en maîtrise. Une voix singulièrement unifiée, mêlant des tessitures qui à la fois s’opposent et se soutiennent, s’entrechoquent et se répondent : « On devrait interdire le mouvement rectiligne uniforme », entend-on. C’est en effet le zigzag et la courbe que nous allons emprunter. Les mots prononcés par Catherine Barsics sont alternativement tendres et cliniques ; ponctués de questions et d’étonnements percussifs. Mais, de l’espace qui sépare la poétesse du batteur, sourd lentement une parole volcanique : un magma moins éruptif que fiévreux. Une sensualité presque involontaire. Les voix de N E I G E semblent alors conjurer le sort ou proférer d’impalpables attentats.
    Déplacées de leur ancrage journalier, des micro-narrations émergent de battements vibratoires, d’assonances, de nappes et de boucles électroniques. Poésie et batterie se mêlent et font scène pour prendre progressivement tout l’espace. Les tableaux dépeignent des moments en apparence anodins, triviaux mais qui, portés par le duo, se dilatent dans l’espace-temps de la performance pour devenir inéluctables, implacables, quasi monstrueux. Les rayonnages du supermarché font place soudainement à la puissance érotique d’un soleil vénitien. Un entretien d’embauche est passé au « kaléidoscope » avant de basculer tout à coup dans un « avion frigorifique ». Le marbre côtoie les muqueuses. Et pourtant, la déchirure et le délabrement attendus n’ont pas lieu. Tout se fond dans des « modes de suspension variés », soutenus par l’instrument. Les tonalités se croisent, se heurtent puis se consolent. De leur manière de composer ensemble se dégage un singulier mouvement qui n’est pas sans rappeler l’énigmatique contrepoint baroque. À moins, peut-être, que ce ne soit la polyrythmie chère au batteur ? Par la tension du dialogue noué entre poésie et batterie, N E I G E prend la mesure d’une sorte d’écart-type entre les individus et réveille des personnages anesthésiés, comme enfouis sous l’amoncellement des jours, pour les laisser ensuite s’évanouir dans le silence. À pas feutrés.
    À lire l’intrigante allure graphique que revêt le nom du projet — tout en espaces et en majuscules —, on aurait pu s’attendre à pénétrer un univers hivernal tout en dislocation, éloignement et distance. Et sans doute est-il un peu question de cela, tant la poésie de Catherine Barsics évoque d’infinies solitudes soigneusement rangées dans la ouate de tiroirs imaginaires. Mais N E I G E, c’est aussi la couleur musicale de la batterie de Tom Malmendier, qui unit et agrège des tonalités en apparence discordantes. Un remarquable duo de poésie sonore à découvrir d’urgence. N E I G E se produira à la Brasserie de la source dans le cadre du Poetik Bazar , le 25 septembre, à 15h

     

    Charlyne Audin

    Même rédacteur·ice :
    20 Septembre 2021
    PAR Collectif Karoo
    Temps de lecture : 5 minutes