critique &
création culturelle
Pensées dissimulées de Beaux Jeunes Monstres
en direct dans vos oreilles

Beaux Jeunes Monstres , c’est une création sonore portée au théâtre par le Collectif Wow ! Dans un joyeux mélange de micros et de fils en tout genre, onze personnes nous font écouter les pensées bavardes de William. Atteint d’une infirmité mentale et privé d’une voix pour s’exprimer, William a beaucoup à dire sur son monde faussement silencieux.

Équipé d’un casque audio, chaque spectateur s’installe dans la salle du théâtre de Namur. Il y a comme une excitation dans l’air, une joie enfantine pour quelque chose de nouveau. Sur scène, on est bien loin du minimalisme du théâtre contemporain : c’est un fatras de fils et d’objets en tout genre qui se dessinent. Une table de mixage côté jardin, un sac de boxe dans côté cour, le tout accompagné de micros et de lumières sur pieds disposés çà et là. Depuis le milieu de scène, comédiens, chanteurs, metteurs en scène et ingénieurs du son nous regardent. Ils sont onze et se préparent à nous raconter une histoire au plus près de nos oreilles, et cela bourdonne déjà d’enthousiasme.

Nous suivons les péripéties de William (Deborah Rouach) ou « Wheeling » pour les intimes. Il a 14 ans et est atteint d’une infirmité motrice cérébrale qui l’oblige à rester dans un fauteuil. De sa survie miraculeuse jusqu’à son quotidien à l’école spécialisée Les Petites Fleurs, William n’a pas eu la vie facile. Il n’a surtout aucune voix pour l’exprimer, vu qu’il ne sait pas produire de sons articulés. Magie de la fiction, les casques vissés à nos oreilles nous permettent d’entendre l’univers bavard de William : tout nous est raconté, sa passion pour la boxe, le remariage de sa mère et la naissance d’un petit frère valide. Sa joie, sa colère, son humour, tout cela vibre dans nos oreilles. Accompagné par Alix, Paolo, Gaby, Margot, ses amis de l’école ‒ tous des  « monstres » comme lui ‒, William met en place une révolution qui les conduira tous les cinq à sortir de l’ombre.

Où on se cache quand on est emprisonné dans son corps ?

Sur scène, nous pouvons observer une création sonore sous toutes les coutures . Dans un ballet adroitement rythmé, chacun emprunte différents rôles et voix pour donner vie à l’histoire de William. Les voix se modulent, elles pleurnichent, grondent et soufflent dans les micros. Les bruitages sont réalisés devant nous et ajoutent ce soupçon de justesse à la narration : des pas qui crissent sur des graviers, des chaussures qui claquent sur des marches en pierre… Pourtant, certaines voix ont été pré-enregistrées, comme celles prêtées aux amis de William. C’est en 2014 que les enregistrements démarrent dans les studios de l’ACRS et que des personnes atteints des mêmes handicaps que leur alter ego fictionnel répètent les textes imaginés par Florent Barat.

© Elise Neirinck

Ce dernier a l’idée du projet après avoir démissionné de son poste d’éducateur spécialisé. Si la création est empreinte d’une telle justesse, c’est bien parce que Florent Barat a donné à ses personnages la même authenticité que celle des personnes avec lesquelles il a travaillé pendant dix ans. En leur donnant la parole, le Collectif Wow ! nous fait écouter attentivement ce qu’on préférerait garder masqué. D’ailleurs, c’est le visage dissimulé, sous des cagoules cousues dans les nappes à carreaux rouges et blancs de la cantine, que William et ses amis se rendent à l’église le jour de Pâques. Ils veulent prendre en otage le lieu, et surtout, ils veulent qu’on les regarde, avec soin pour une fois.

Quand nous étions à visages découverts, vous ne nous voyiez pas. Il a fallu nous cacher pour que vous nous voyez.

C’est sans doute pour cela qu’ils cachent leur visage, afin que le regard des personnes amassées autour de l’église ne s'arrêtent pas simplement à leur handicap. Après cet exploit, William et ses amis retourneront à leur quotidien et, même si rien n’est différent, pour eux quelque chose a changé. Malgré une fin convenue, la performance technique est parfaitement maîtrisée, et on aimerait se laisser aller en fermant les yeux pour écouter toutes les subtilités de la création sonore. Sur scène, ce n’est pas la performance du jeu des comédiens qui domine, alors pourquoi ne pas avoir écouté cette création sonore, chacun chez soi, bien installé dans un canapé ? On se demande si nous aurions pris le temps de le faire, dans le tumulte des jours qui passent. Car s'il y a bien quelque chose que nous propose le théâtre, c’est de s’accorder un moment pour vivre une histoire. C’est une expérience collective qui nous emmène, et qui n’aurait pas le même goût si nous ne faisions pas l’effort de nous déplacer dans un ailleurs physique. Cela nous permet d’expérimenter cet ailleurs fictionnel avec plus d’intensité. Alors, c’est bien ce patchwork de sonorités, rejoué devant nos yeux, qui nous a embarqué en tant que spectateur-auditeur pour que prêtions l’oreille à l’histoire de William.

Pour écouter Beaux Jeunes Monstres, c'est par ici : https://www.radiola.be/serie/beaux-jeunes-monstres/

Même rédacteur·ice :

Beaux Jeunes Monstres

Une création du Collectif Wow !

Texte : Florent Barat
Mise en scène et en son : Florent Barat, Émilie Praneuf et Sébastien Schmitz
Sur scène : Deborah Rouach, Émilie Praneuf, Juliette Van Peteghem, Amélie Lemonnier, Lucile Charnier, Sylvie Nawasadio, Alex Jacob, Michele de Luca, Michel Bystranowski, Sébastien Schmitz, Florent Barat
Avec les voix de José Soteras, Aurélie Volon, Thomas Ardui, Raphaël Bonneels et Jonathan Vanchieri
Représentation : Théâtre de Namur du 08.02.2023 au 11.02.2023

Lien vers les créations sonores : https://www.lecollectifwow.be/Beaux-Jeunes-Monstres