critique &
création culturelle
Phèdre(s)
Racine dans l’air du temps

Jean Racine ne peut laisser indifférent. Sa tragédie sous forme d’alexandrin prend aux tripes et transcende le spectateur avec une grande force. Avec Phèdre(s) , Pauline d’Ollone, jeune metteuse en scène, se lance un défi à la hauteur de la plume racinienne.

Pauline d’Ollone n’en est pas à sa première mise en scène. Sa pièce Reflets d’un banquet , réécriture personnelle du Banquet de Platon avait d’ailleurs déjà été jouée dans ce même théâtre des Martyrs.

À peine entrée dans celui-ci, la scène s’offre à moi et aux autres spectateurs déjà installés. Chacun s’interroge du regard : les acteurs sont déjà sur scène. Alors que les hommes se battent et s'entraînent, les femmes se maquillent ou s’étirent. Sommes-nous déjà dans la mise en scène ? La réponse reste floue, plongeant volontairement le spectateur dans le doute et le malaise.

Le signal de départ est lui-même indistinct. Pas de fidèles coups qui réveillent l’endormi, mais un départ rapide qui me laisse perplexe et m’entraine dans l’ambiance.

L’histoire, je la connais déjà. Phèdre, mariée de force à Thésée, tombe amoureuse de son beau-fils, Hippolyte. Fils de Thésée et d’une précédente compagne, Hippolyte est en effet un magnifique jeune homme qui, se refusant depuis toujours à l’amour, cherche à fuir l’influence paternelle. À l’annonce de la mort de Thésée, chacun semble rattraper son souffle avec fureur, s’autoriser à la vie après une longue pause. Les passions se révèlent enfin, chacun démêlant amour et haine en un large florilège d’émotions.

Comment cela sera-t-il joué ici ? Je reconnais déjà, dès le départ, le souffle racinien. Les alexandrins s'enchaînent, une maîtrise de la langue incroyable est mise en scène face à moi. Je respire un peu mieux, soulagée de voir que la langue n’a pas été remaniée dans un français moderne ou moins intéressant. Au contraire, Pauline d’Ollone semble avoir réellement saisi le pouvoir de l’alexandrin. Prenant le parti de s’y accrocher, elle nous offre une mise en scène rythmée qui donne de la voix et de la force aux personnages. Justement utilisée, la langue de Racine est magnifique et donne toute sa dimension tragique au texte. Grâce à elle, les émotions de Phèdre sont troublantes et affreuses, les passions d’Hippolyte sont nouvelles et destructrices. Ce qui pourrait sembler banal prend un tournant monumental.

L’interprétation est donc pour moi bien dosée dès le départ. Agréablement surprise, je me laisse progressivement emportée dans l’histoire, installée dans un fauteuil confortable. Personne n’est à mon côté, les bulles Covid sont respectées. En sécurité, je me sens alors à même de regarder sans angoisse le spectacle qui se déroule face à moi.

Peu à peu, je prends conscience de la présence sur scène de tous les acteurs. En effet, ils circulent tous sans cesse face à nous sans que cela ne nous perturbe le moins du monde. Celui qui au départ ne m’attirait pas commence alors à m'interpeller. Je parle ici d’Hippolyte, interprété par Habib Ben Tanfous. Alors qu’à l’entrée dans la salle, l’acteur paraît jeune et fébrile, son interprétation n’en devient par la suite que plus grandiose ! Il réussit à émouvoir et emplit la salle de sa présence. Sous ses airs discrets, il nous surprend et nous renverse. Même caché sous un voile, sa force nous atteint. Sans chercher à trop en faire, il reste juste et bouleverse le public.

Nelly Latour réussit aussi à me charmer. L’actrice interprète une Phèdre émouvante et pleine de contradictions intérieures qui la déchirent. Elle réussit à nous transmettre ses émotions, et à insuffler au personnage une fragilité qui détrompe la Phèdre froide et distante qu’on aurait pu s’imaginer.

Tous les acteurs réussissent à rester justes dans leurs interprétations. Leila Chaarani, comédienne jouant Aricie, semble prise par une rage intense tout au long de la pièce, donnant peut-être trop de la voix pour se faire entendre.

Cette pièce serait-elle parfaite ? Alors que je la regarde, je repère malgré moi quelques éléments qui me déplaisent. À certains moments, on a fait le choix de s’écarter du texte pour insérer quelques phrases originales. Je ne suis pas emballée par ces paroles qui semblent tomber comme un cheveu dans la soupe. Arrivées de nulle part, elles cherchent à faire rire le spectateur mais ne créent en moi qu’un léger malaise dû au décalage qu’elles provoquent. Heureusement peu nombreuses, je parviens vite à les oublier.

De plus, malgré le très bon moment que je passe, je ne peux m’empêcher de remarquer quelques longueurs. Sont-elles dues au texte de Racine, en alexandrins, difficiles à comprendre et peu habituels ? Ou alors simplement à un défaut de la mise en scène qui ne précipite pas assez les choses ? J’en viens à espérer un mouvement plus rapide, une fin qui se fait désirer longtemps.

Sortie de la salle, je m’interroge. Et le décor alors ? Presque aucun décor n'a accompagné la pièce. Les acteurs se contentent de circuler librement sur scène, laissant libre cours à notre imagination. Ce choix de mise en scène ne m’a absolument pas déplu, au contraire. L’absence de décor permet de se concentrer pleinement sur les personnages et leurs émotions. Sobre mais efficace. Les quelques détails qui s’ajoutent, comme par exemple la présence d’eau sur scène à la fin de la pièce, suffisent à donner de la force au spectacle sans l’alourdir.

Phèdre(s) de Pauline d’Ollone est donc une pièce intéressante que je ne peux que conseiller ! Elle saura charmer les connaisseurs de Racine comme les nouveaux spectateurs. Les choix de la metteuse en scène nous plongent véritablement dans l’ambiance de la pièce. Le démarrage bien que curieux nous place comme voyeur, presque participant au spectacle. Les comédiennes et comédiens tous talentueux réussiront à partager les émotions d’une si intense tragédie. Attention à peut-être lire un rapide résumé de la pièce avant pour saisir les différentes subtilités.

Même rédacteur·ice :

Phèdre(s)

Mise en scène : Pauline d’Ollone
Avec : Habib Ben Tanfous (Hippolyte), Pierange Buondelmonte (Théramène), Leila Chaarani (Aricie), Liesbeth Kiebooms (Ismène), Nelly Latour (Phèdre), Gaëtan Lejeune (Thésée), lliass Mjouti (Panope), Catherine Salée (Œnone)
Lumières : Renaud Ceulemans
Costumes : Gaëlle Marras
Création musicale : Gabriel Govea Ramos
Régie générale : Matthieu Kaempfer
Assistanat à la mise en scène : Lorena Spindler

Vu au théâtre des Martyrs le 21 septembre 2021