critique &
création culturelle
Rendez-vous chez le psy
pour de joyeuses commères

Opéra peu joué, compositeur peu connu, les Joyeuses Commères de Windsor (Die lustigen Weiber von Windsor) d’Otto Nicolaï , coproduit par l’Opéra royal de Wallonie et l’Opéra de Lausanne, pouvait laisser augurer le meilleur ou le pire. Ce fut le meilleur.

Le synopsis des Joyeuses Commères de Windsor — d’apparence simple — aurait pu réduire la mise en scène à quelques grotesques bouffonneries. Il n’en fut rien. Falstaff, séducteur de pacotille, envoie la même lettre d’amour aux dames Fluth et Reich , amies qui ne tardent pas à découvrir la supercherie. Outrées quoiqu’un peu émoustillées, elles décident de se venger et saisissent l’occasion de donner une leçon à Herr Fluth dont la jalousie est maladive.

David Hermann, jeune metteur en scène, a su avec brio extraire une intrigue psychologique de cette farce. Qui est Falstaff ? On ne le verra jamais autrement qu’en rêve, qu’en monstre. Il est l’incarnation de nos fantasmes les plus intimes : la ménagère quadragénaire s’invente un amant, le mari maladivement jaloux s’accroche à ses craintes.

Hermann réinvente alors la succession de blagues sympathiques à laquelle on pouvait s’attendre. Le panier à linge est remplacé par un vase, urne dans laquelle les commères enferment l’âme de leur amant ? La rencontre entre Herr Fluth déguisé en Bach et Falstaff prend place chez le thérapeute : rêve, confidences, voyage au cœur du psychisme humain ?

Les influences viennoises d’Otto Nicolaï — contemporain de Mendelssohn — transparaissent très nettement dans une ouverture brillamment exécutée. L’orchestre, sous la baguette de Christian Zacharias, offre une belle homogénéité qu’il ne gardera malheureusement pas toujours dans la suite de l’œuvre. On regrette particulièrement un pupitre de cuivres décidément bien aléatoire.

La distribution, remaniée depuis Lausanne, maintient le cap d’excellence de cette saison liégeoise. On saluera tout particulièrement la prise de rôle de la soprano belge Anneke Luyten (Frau Fluth) : jeu admirablement maîtrisé, voix ronde et souple, une parfaite alchimie pour ce premier grand rôle. Suscitant l’enthousiasme du public, Sophie Junker (Anna Reich), Belge elle aussi, régale nos oreilles de son timbre riche et coloré. Dans le rôle de Falstaff, Franz Hawalta impressionne. Son timbre incisif et quelque peu nasal dessine un séducteur plus diabolique que charmeur. Quant à Werner van Mechelen en Monsieur Fluth, il est excellent, fidèle à lui même.

Efficacement dirigés, les artistes évoluent dans un décor seventies épuré qui, tout en élégance, habille et structure l’espace de jeu. Sobre mais très à propos, la création lumière est signée Fabrice Kebour. L’alliage de couleurs relativement froides crée une ambiance homogène où mobilier, volumes stylisés et costumes coexistent harmonieusement. Deux tableaux sont particulièrement réussis : la scène finale et son atmosphère sylvestre, diaphane, décalée voire fantastique, ainsi que le cabinet vintage du psychothérapeute tapissé de motifs Rorschach. C’est dans ce lieu, inédit, que différents intervenants viennent exposer successivement leurs imbroglios amoureux. Allongés sur le traditionnel canapé, ils sont alors guidés par quelques répliques du psychothérapeute, campé par un subtil Sébastien Dutrieux. Cela donnera à l’intrigue une dimension quasi dramatique.

C’est donc finalement libérés de nos appréhensions que nous quittons le spectacle, ravis d’avoir découvert une nouvelle œuvre dont la mise en scène évite soigneusement de sombrer dans les grossièretés dont l’Opéra royal de Wallonie fut, quelquefois, spécialiste.

Même rédacteur·ice :

Les Joyeuses Commères de Windsor / Die lustigen Weiber von Windsor
Adapté de William Shakespeare The Merry Wives of Windsor .
Mise en scène : David Hermann.
Avec Franz Hawlata, Anneke Luyten, Werner Van Mechelen, Sabina Willeit, Laurent Kubla, Davide Giusti, Sophie Junker, Stefan Cifolelli, Patrick Delcour et Sébastien Dutrieux .
Du 30 janvier au 7 février à l’Opéra royal de Wallonie.