La pièce Occupe-toi du bébé de l’auteur anglais Dennis Kelly raconte l’insoluble quête de la vérité, menée par un reporter autour d’un infanticide. Jasmina Douied en propose une version en demi-teintes. Le texte relève cependant, par son acuité et sa critique des médias, du service d’intérêt général.

Une femme est accusée d’avoir tué son enfant. Elle est d’abord condamnée à la prison à perpétuité, puis innocentée en appel par manque de preuves. Après quatorze mois de détention, elle sort libre du tribunal et retourne vivre chez sa mère, alors que son mari l’a quittée. Où est la vérité ? Qui la détient ? La pièce repose sur des interviews menées par un reporter qui enquête en faisant parler tour à tour une galerie de personnages liés directement à l’événement.

Donna est la protagoniste principale, autrement dit la jeune femme accusée de la mort de son fils de cinq mois, Jake ; ensuite, il y a Lynn, la mère de Donna, une femme politique en pleine campagne électorale au moment des faits ; le docteur Millard, un psychologue ayant inventé le syndrome dit « SLK », maladie atteignant certaines femmes tuant par empathie ; le journaliste ayant vendu les titres les plus accrocheurs de l’affaire aux médias nationaux ; l’homme politique conservateur débauchant Lynn en raison de sa popularité grandissante dans les sondages suite à la médiatisation providentielle de l’affaire concernant la libération de sa fille ; enfin, Martin, le mari de Donna, qui refuse jusqu’au dernier moment de se prêter au jeu de l’interview et qui est convaincu que sa femme a tué son fils.

La pièce de Dennis Kelly dépeint au vitriol les acteurs s’emparant de faits divers – journaliste, expert, psychologue, politique – pour servir leur propre carrière et tirer profit de l’innommable.

Chaque personnage se pare derrière une quête de vérité pour mieux cacher sa profonde duplicité. Le spectateur est alors pris à parti derrière le prisme déformant des vues de chacun et est dès lors invité à réaliser un travail de décryptage, recoupant les opinions éclatées et tentant de déceler la vérité derrière chaque mot et chaque attitude.

Le texte de Dennis Kelly n’a pas vieilli. Au contraire, à l’heure où les réseaux sociaux et les magazines people remplacent progressivement la presse d’investigation, cet exercice d’esprit critique est salutaire. Il y a une forme de pédagogie, de didactisme dans l’écriture de Kelly, qui cherche à ce que le spectateur s’interroge sur l’en deçà de chaque fragment restitué, sur les motifs de chaque personnage qui utilise le spectaculaire du crime pour servir des intérêts nobles ou serviles. En cela, pas de doute, monter ce texte aujourd’hui est une évidence.

Si le choix de ce texte ne pourrait raisonnablement être mis en cause, il convient de s’interroger sur les choix de mise en scène qui manquent, semble-t-il, de point de vue, d’originalité. On aurait pu, en lisant ce texte cinglant, imaginer le metteur en scène s’en emparer pour le mettre en espace de façon à multiplier les doubles lectures, les degrés de jeu, et élaborer un savant mélange entre voyeurisme et confession que permet la scène théâtrale.

Au lieu d’une semblable tentative, il faut bien admettre que le metteur en scène n’a pas privilégié une lecture audacieuse et se cantonne à un exercice très scolaire, à la dramaturgie souvent floue. Le jeu des rideaux qui séparent les espaces scéniques n’apporte aucune dynamique notable, et l’utilisation illustrative de la vidéo alourdit les transitions. La création sonore est anecdotique. L’ensemble manque de cohérence. La seule trouvaille intéressante est le choix de faire parler l’interviewer des gradins, ce qui souligne la place du spectateur comme le principal destinataire de l’information.

Quant au jeu d’acteurs, il manque globalement de fragilité, d’humanité, de nuances. Si l’actrice qui joue Donna, la mère de l’enfant, est confondante par son interprétation sobre et retenue, l’interprétation de sa mère Lynn par Anne-Marie Loop est outrancière. Le personnage, qui se décrit certes comme hystérique, manque de profondeur en ce qu’il ne semble jamais au point de rupture, et révèle par là une partition d’acteur technique et maîtrisée, mais finalement peu crédible. Contrairement au personnage de Martin, dont Vincent Lecuyer donne une version à la fois sensible et sincère, sans tomber dans le registre pathétique. Enfin, saluons la performance de Benjamin Mouchette, jeune acteur du conservatoire de Liège, qui nous propose deux versions savoureuses de l’obscénité : vendeur de cancans et/ou de promesses électorales.

Les quelques réserves sur la mise en scène ne devraient néanmoins pas déteindre sur l’impression globalement positive. En effet, il n’est pas rare de voir des metteurs en scène se casser les dents sur un texte contemporain anglais de cette période du théâtre dit in your face . De même, si les acteurs tombent parfois dans certains travers, la distribution est en fait plutôt convaincante.

On ne pourrait sortir indifférent après avoir vu joué ce texte, qui donne à voir le fait divers sous un angle critique, complexe, avec autant de degrés de lecture qu’il y a d’observateurs, sans jamais dévoiler la vérité qui, elle, doit se chercher dans certains regards inavouables, certains gestes manqués.