critique &
création culturelle
La Chambre bleue, rouge et noir

Deux amants dans une chambre bleue, couchés dans une chambre d’hôtel, d’abord ; debout dans une chambre d’assises, ensuite. C’est qu’entre le début et la fin de l’histoire de Georges Simenon adaptée par Mathieu Amalric, le sang a coulé. Celui du mari d’Esther, puis de l’épouse de Julien et de leur fille.

Deux amants dans une chambre bleue, couchés dans une chambre d’hôtel, d’abord ; debout dans une chambre d’assises, ensuite. C’est qu’entre le début et la fin de l’histoire de Georges Simenon adaptée par Mathieu Amalric, le sang a coulé. Celui du mari d’Esther, puis de l’épouse de Julien et de leur fille.

C’est une chambre bleue adossée à la bobine.
On y vient à pied. On ne frappe pas. Ceux qui vivent là ont jeté la clé.

S’il s’agit d’une histoire de passion, elle est surtout dans la tête d’Esther, folle amoureuse de Julien depuis l’école, déjà lanceuse de sorts à cette époque contre les blondinettes qui recevaient ses faveurs. Puis, viennent l’éloignement, les mariages respectifs, la perte de vue. Et la réunion à Saint-Justin, où la femme du Pharmacien lance son grappin. Commencent alors les rendez-vous torrides du jeudi dans un petit hôtel discret. Julien se laisse aller, ne se doute pas où tout cela va le mener…

Photo Alfama films

… Devant un juge d’instruction principalement. C’est bien là que se joue l’intrigue, durant ces interminables interrogatoires du suspect par un juge zélé désireux de découvrir la vérité, de faire la part des choses entre les responsabilités dans ces homicides. Mathieu Amalric s’adonne donc à un lent jeu de balancier entre les auditions menées par le juge d’instruction et les souvenirs que ses questions provoquent chez le prévenu, souvenir charnels, souvenirs sexuels, souvenirs apeurés, souvenirs dialogués ou phantasmés, ramenés à la réalité par la voix terne de l’acteur. Méticuleusement, le réalisateur confronte passé et présent avec une maîtrise implacable.

Lentement, il tisse sa toile autour de son personnage, pris, mille fois pris, dans un piège inextricable que l’on aperçoit dès les premiers dialogues, dès les premiers plans fixes. Amalric endosse à la perfection le rôle de ce prisonnier avant l’heure, jouant de l’exophtalmie ahurie et de ce ton si grave et si incolore qui le caractérisent tant. Pour l’accompagner dans ses tourments, il a choisi sa femme, Stéphanie Cléau, metteur en scène au théâtre et coscénariste de La Chambre bleue . Elle y interprète fabuleusement une Esther à demi folle, séduisante et attendrissante, autant qu’affolante. Et on se plaît à imaginer d’autres futures collaborations.

La réalisation efficace sert cette énième adaptation des romans de Simenon, qui ne craint cependant pas les recherches personnelles. Il en va de ces accumulations de très gros plans indiciels, clichant indéfiniment l’intimité des amants, ou de ce choix du cinéaste d’une projection de son film en 4/3 dans les salles de cinéma.

Au Studio 4 de Flagey, où le film était projeté en avant-première et en ouverture du Festival du Film de Bruxelles, il aura fallu refermer un peu les rideaux pour grignoter de l’écran juste assez pour respecter le format fixé par l’auteur. Un film précieux, sans esbroufe, plein de propositions qui n’appartiennent qu’à Amalric, dont on ne s’étonnera pas du passage à Cannes dans la sélection Un Certain Regard….

À noter que le Brussels Film Festival , onzième du nom, poursuit son petit bonhomme de chemin, après sa soirée d’ouverture dédiée au film de Mathieu Amalric, clin d’œil officiel à la projection de Tournée en gala de clôture du même festival il y a quelques années. C’est dire si le BRFF aime les auteurs… Il en a sélectionné quelques uns venus de toute l’Europe, parmi des milliers de candidats. Jusqu’au 14 juin, il faut absolument se rendre à Flagey, profiter de cette sélection éclectique, des activités annexes, les concerts, les ateliers de scénarios, les conférences, le cinéma en plein (gratuit) tous les soirs à 22h30.

Enfin, cette année, Alan Parker est à l’honneur. Le Festival a donc organisé une rétrospective complète de son œuvre, à voir à la Cinematek jusqu’au jeudi 19 juin.

Même rédacteur·ice :

La Chambre bleue

Réalisé par Mathieu Amalric
Avec Mathieu Amalric, Léa Drucker et Stéphanie Cléau.
France , 2014, 76 minutes