critique &
création culturelle
Une lumineuse torpeur

Des critiques dithyrambiques, la présence d’une star internationale, pas la moindre récompense au festival de Cannes, si ce n’est un « sombre » prix œcuménique récompensant l’ensemble de leur œuvre… bref, Deux jours, une nuit , le dernier film des frères Dardenne nous laissait pantois !

Et pourtant en ce période où le noir-jaune-rouge fleurit dans (presque) toutes les vitrines et se décline sur (presque) tous les supports, où les olé-ola-olé bourdonnent dans nos oreilles, l’on a bien envie d’exalter notre patriotisme et de pousser la porte d’un de ces vieux cinémas indépendants. La fraîcheur de l’affiche et, il faut bien l’avouer, la présence de Marion Cotillard, ont finalement eu raison de nos derniers soupçons de défiance et nous prenons place dans une petite salle rejoints rapidement par une dizaine d’autres visiteurs.

Lorsque le générique de fin prend possession de l’écran, sans musique additionnelle, cachet Dardenne oblige, nos craintes ne sont plus qu’un lointain souvenir. Les frères les plus célèbres du monde cinématographique nous ont une fois de plus plongés au cœur de la tourmente des classes populaires où sévit le plus durement la crise, sujet qui, doit-on encore le rappeler, traverse l’ensemble de leurs réalisations. La crise qui aujourd’hui, davantage qu’en 1999, lors de la sortie de Rosetta et l’obtention de leur première Palme d’or, attribuée à l’unanimité et qui leur permit de crever l’écran, se retrouve partout. Pas une semaine ne passe sans qu’elle ne soit abordée dans les médias et sans que ne soit exposée la précarité dans laquelle évoluent certaines personnes.

Et c’est sans doute le double défi qui se pose aux réalisateurs : comment traiter d’un sujet qui est devenu ordinaire et qui a déjà fait l’objet de leurs précédents films sans tomber dans la stéréotypie ou la redondance?

Tout simplement en nous faisant rire — lorsque Sandra est prise pour un témoin de Jéhovah – et en réalisant un magnifique suspense — jusque dans les dernières minutes du film, la salle frémit en se demandant si l’héroïne va parvenir à conserver son emploi — dans lequel les blancs continuent de clouer le bec de tous ceux qui prétendent encore que le cinéma ne laisse aucune place à l’imagination du spectateur.

Éblouissante, Marion Cotillard, trop souvent qualifiée de mainstream depuis l’obtention de son Oscar, confirme l’étendue de son talent. Alors que dans De rouille et d’os , elle incarnait la fragilité dissimulée sous une épaisse carapace, elle renverse le paradigme et campe cette fois une jeune femme qui se révèle étonnamment forte sous son apparente fragilité. Elle n’éclipse pas pour autant son principal partenaire, Fabrizio Rongione, comédien habituel des Dardenne, qui interprète le rôle du mari portant à bout de bras une épouse blessée par la dépression et dont la qualité de la prestation nous a laissée sans voix.

Lumineux. Si l’on devait qualifier le dernier film de Jean-Pierre et Luc Dardenne en un mot, ce serait sans aucun doute celui-là. Lumineux. Car depuis 1999, leur cinéma a bien évolué et alors qu’on ressortait de la projection de Rosetta avec un profond sentiment d’asphyxie, on quitte cette fois notre siège rouge rembourré le sourire aux lèvres. Deux jours, une nuit , c’est une plongée au cœur d’une question sociale parfois plus oppressante que sa réponse, et c’est aussi un très agréable moment de cinéma.

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Même rédacteur·ice :

Deux jours, une nuit

Réalisé par Luc et Jean-Pierre Dardenne
Avec Marion Cotillard, Fabrizio Rongione, Catherine Salée, Christelle Cornil
Belgique-France-Italie , 2014, 95 minutes