Regards obliques sur Hanoï
Dernier volet de notre série consacrée à Hanoï, voici quatre regards obliques sur la capitale du Vietnam. Des jeunes mariés en quête de décors prestigieux, un étrange musée ou une étrange prison, une bande d'artistes à bérets ou une boutique d'affiches de propagande communiste, c'est à Hanoï et nulle part ailleurs !
Prises de vue
Hanoï est régulièrement le spectacle de bien curieuses scènes matrimoniales. En se promenant dans le quartier français, où hôtels et boutiques de luxe se côtoient, il n’est pas rare de croiser, le week-end venu, des couples de jeunes mariés à la recherche d’un décor. Entendons-nous bien : à la recherche d’un décor pour se faire photographier.
Rien n’est davantage prisé, semble-t-il, que d’être pris en photo, le jour où les vœux sont prononcés, à l’entrée du prestigieux hôtel Métropole. Ou encore, devant la vitrine de la boutique Cartier. Ou encore, devant celle de Louis Vuitton.
Des portiers à l’air renfrogné, des voituriers auxquels la fréquentation d’autres sphères confère une certaine hauteur, s’efforcent de les chasser. Les mariés protestent, s’en vont un peu plus loin tenter un autre point de vue. Pour immortaliser une union commencée sous les meilleurs auspices.
Vivre en prison
La prison de Hoa Lo, située au cœur de la capitale vietnamienne, est un édifice chargé d’histoire. Pendant la période coloniale, les Français l’utilisaient contre les opposants politiques. Après l’indépendance, les autorités vietnamiennes y enfermèrent les pilotes américains dont les avions avaient été abattus dans la région.
Aujourd’hui reconvertie en musée, elle se visite. La scénographie met d’abord en scène les horreurs commises sous le pouvoir colonial. Aucun détail n’est épargné et tout bouleverse — les cellules, les entraves, les instruments de torture, la guillotine.
Une dernière salle, pourtant, ne manque pas de laisser des impressions contrastées. Consacrée aux prisonniers américains détenus pendant la guerre du Vietnam, elle présente une série d’objets et de photographies qui les montrent dans leur quotidien.
Les voilà qui préparent le repas de Noël. Qui décorent un sapin. Jouent au basket et au volley. Assistent à la messe. Fument des cigarettes en souriant.
Dans ce qui ressemble à une sorte de camp de détente, les prisonniers paraissent tout heureux et bien portants. On aurait presque envie d’y être, presque envie de partager un moment avec eux. Même si l’idée n’est jamais loin qu’un peu de propagande est tout de même passé par là.
Vernissage
Au musée des Beaux-Arts de Hanoï, l’ouverture de l’exposition dédiée à Nguyên Thi Hiên, dont les œuvres furent visibles du 25 au 30 décembre 2013, a naturellement donné lieu à un vernissage.
À l’intérieur de la salle, une série de peintures présente des portraits d’enfants, colorés et naïfs, dans des postures rigides. Le public défile patiemment devant les œuvres, tandis que plusieurs caméras filment l’événement. Dehors, l’atmosphère est toute différente. Un buffet est installé le long du bâtiment. Une foule bruyante piétine devant. De petits groupes se forment, discutent, sympathisent.
C’est alors que l’on ne peut s’empêcher de remarquer un détail peu ordinaire : le crâne d’un Vietnamien coiffé d’un béret. Quoique le port d’un tel couvre-chef dans ce coin de l’Asie puisse décontenancer, le fait aurait pu passer inaperçu s’il n’avait pas été suivi, l’instant d’après, par la vue d’un autre béret, puis d’un autre, puis d’un autre encore. C’est donc plusieurs hommes, d’un certain âge disons-le, qui se trouvent affublés du célèbre chapeau en forme de galette, par ailleurs pas vraiment courant au pays de l’Oncle Ho.
En y réfléchissant, les choses deviennent plus claires. Il est à peu près certain qu’il s’agissait d’artistes venus assister au vernissage d’une consœur. Bien que daté, le cliché paraît solidement ancré. Difficile de ne pas songer au film Hana-Bi de Takeshi Kitano, dont l’un des personnages, ayant soudain décidé de se mettre à peindre, déclare : « Je vais m’acheter un béret d’artiste. » Histoire de prendre les choses par le mauvais bout.
À l’affiche
Acheter des affiches de propagande est une activité très appréciée des touristes ayant une soif d’authenticité factice à étancher. Ça tombe bien, Hanoï regorge de boutiques qui en proposent. Les événements historiques majeurs, les grands principes valorisés par le régime y sont représentés.
Sur celle-ci, un poing fermé aux couleurs de la nation vient s’abattre sur un B-52 qu’il brise en deux. Sur celle-là, des travailleurs lèvent leur visage souriant en direction d’un soleil constitué d’une faucille et d’un marteau. Sur cette autre, l’effigie d’Ho Chi Minh est fondue dans un décor de révolution industrielle et de progrès technologiques.
Dans ce genre de commerce, les prix se discutent âprement, qu’il s’agisse d’affiches originales ou de réimpressions. Il est déjà arrivé qu’un touriste engagé dans une longue négociation se voit soudain répondre : I don’t speak English. De la part d’un vendeur qui s’était jusque-là exprimé dans un anglais très correct, il y a de quoi être surpris. Mais sans doute est-ce la solution la plus simple, pour un Vietnamien dur en affaires, de couper court à une négociation dont la tournure lui déplaît, de faire valoir un refus sans le formuler trop ouvertement.