critique &
création culturelle
« Si j’étais vraiment audacieuse »
Portrait de Nina Degroote, autrice-entrepreneuse

Nina, 25 ans, est à la fois une autrice bientôt publiée et à la tête de sa propre entreprise de cohérence scientifique, Unblur . Pour Karoo, elle raconte ses histoires, son parcours, et son audace.

De l’audace, effectivement, il en fallait pour s’autoriser à dévier du chemin tout tracé par des études en biologie moléculaire. Nina Degroote (ou Ina Siel dans le monde de l’édition) a en effet décidé de créer sa propre entreprise quand elle s’est rendue compte que les métiers proposés par cette branche de la science ne lui convenaient pas. Elle crée donc Unblur , société de cohérence scientifique à destination des auteurs et autrices, au sein de laquelle travaillent quatre associés et deux bénévoles, formés en biologie, physique ou histoire. L’objectif principal d’ Unblur est d’offrir aux auteurs de science-fiction/fantasy/fantastique un regard spécialisé pour améliorer leurs textes et ainsi les rendre les plus précis possibles. L’entreprise vient de sortir de sa phase de test et l’équipe s’apprête à lancer ses services payants, grâce à Azimut1 .

En parallèle, Nina a décidé de laisser sa chance à l’écriture : « J’ai commencé à écrire sérieusement en 2012, vers l’âge de 15 ans. J’écrivais tous les jours et j’ai fait ça jusqu’à la fin de ma rhéto, avec l’idée d’écrire des romans. Les études m’ont coupée dans mon élan, mais j’ai toujours aimé écrire. » C’est la lecture de La Quête d’Ewilan de Pierre Bottero qui lui fait découvrir (et adorer) le monde de la fantasy, et l’enthousiasme d’un professeur de français en troisième humanité qui l’encourage à écrire. « Grâce à lui, j’ai surtout découvert le fait de créer un projet long. En classe, on devait rédiger une courte nouvelle policière, mais tout cela s’est fait étape par étape et nos personnages nous ont occupé sur plusieurs mois. L’été suivant, j’ai eu une idée de roman que j’ai écrit durant les vacances. » La machine était lancée. L’écriture devient vite pour elle un besoin en plus d’une passion ; ne pas écrire reviendrait à s’éteindre. Pour Nina, le désir d’écriture est le même que celui d’un archéologue qui réalise des fouilles pour trouver des trésors : « moi, je fouille mon imagination pour y déterrer des mondes ». De plus en plus, Nina se pose la question de la chose, la vérité qu’elle a envie de crier à la face du monde entier pour trouver du sens dans ce qu’elle rédige. Ses réflexions personnelles filtrent au travers de ses textes, mais elle ne considère pas pour autant ceux-ci comme étant le reflet de sa vision du monde, ni comme un moyen d’expression. La lecture de L’hiver de la sorcière de la Trilogie de l’hiver de Katherine Arden, Morwenna de Jo Walton et de Ellana du Pacte des marchombres de Pierre Bottero l’enchante et la projette dans encore plus d’univers à explorer.

« Asimov a fait biochimie, ça ne peut pas être une mauvaise idée… »

Au moment de choisir des études, pas trop d’hésitation : Nina a toujours adoré les sciences en général et la biologie en particulier, surtout quand l’échelle devient de plus en plus petite, en-dessous de la taille d’une cellule. Les études littéraires ne la tentaient pas, mais elle a toujours veillé à garder la littérature dans son horaire, que ce soit avec une option d’activités littéraires à l’école ou une mineure en culture et création durant son bachelier, à la recherche d’ateliers d’écriture créative ou d’outils de narratologie. « Je voulais faire le master en biochimie, et puis je me suis dit qu’être bonne en sciences m’aiderait à écrire de la SF. » Sauf que les études sont épuisantes et les stages en milieu professionnel décevants. Nina m’explique que si elle pouvait revenir en arrière, elle ne suivrait pas ce cursus, et n’irait pas à l’université : « Avec les connaissances que j’avais à 17 ans, c’était le seul choix que je pouvais faire. »

« Je vois l’écriture comme un projet entrepreneurial »

Le déclic a lieu en 2020 : Nina savait qu’elle voulait entreprendre et devenir son propre patron, et c’est sur le ton de l’humour qu’elle a lancé l’idée de Unblur . Nina répond à un appel à projet de l’Yncubator de Louvain-La-Neuve2 et se lance rapidement sur les réseaux. Unblur a plusieurs objectifs : « Les auteurs sont très souvent confrontés à des disciplines qu’ils ne maîtrisent pas ou peu ; il ne faut pas être professionnel dans un domaine précis pour écrire un livre, mais on a parfois besoin d’aller chercher une expertise pour un coup de pouce ou débloquer des situations. On propose de la relecture de manuscrits uniquement sous l’angle de la cohérence scientifique, mais aussi un accompagnement co-construit avec l’auteur avec des rendez-vous à la carte pour l’aider à mettre son texte en termes scientifiques. Il nous arrive aussi de vulgariser des articles ou de suggérer des lectures, ou encore de réfléchir avec les auteurs sur les impacts que la science a sur l’intrigue et les personnages. Le dernier volet est la création de master classes pour les auteurs, qui se concentrent par exemple sur l’aspect scientifique d’un trope, comme le voyage dans l’espace. On le décline alors sous l’angle de la biologie, de la physique, de l’histoire… Cet aspect interdisciplinaire offre aux auteurs un panorama de choses à explorer ». On peut donc voir Unblur comme un prestataire de service qui fonctionne en B2B3 , si l’on considère l’écrivain comme une entreprise. Puisque l’édition est un ensemble de procédés permettant la diffusion d’un livre, le travail réalisé par les collaborateurs de Unblur s’insère comme un nouveau maillon sur la chaîne d’un long processus. « On n’agit pas comme un agent qui se réserverait un pourcentage sur les ventes d’un livre ; une fois notre boulot terminé, on n’a plus rien à demander aux auteurs ».

Sur Instagram, Nina observe les comportements des auteurs pour mieux comprendre leurs besoins, avant de se rendre compte qu’elle devrait, elle aussi, créer son compte d’autrice pour préparer la sortie de son premier livre, Le Musée Galactique des Choses Disparues , roman dystopique jeune adulte de science-fiction à paraître en septembre 2022 aux éditions Haro sous le pseudonyme de Ina Siel. Nina m’explique qu’elle refuse qu’un projet à aussi long terme fasse un flop, et puisqu’elle était en pleine création d’ Unblur lorsqu’elle a reçu une réponse positive de sa maison d’édition, elle a très vite considéré son livre comme un produit à vendre.« Mon objectif était surtout de professionnaliser mon statut d’autrice. Mon métier n'est pas seulement d’écrire, c’est aussi tout ce qu’il y a à côté. » Nina s’investit dès lors beaucoup sur Instagram et décide de proposer principalement du contenu vidéo au ton humoristique pour se faire connaître, créer une relation avec sa communauté de lecteurs potentiels et partager des idées ou des réflexions qui lui tiennent à cœur, dans le but de valoriser un maximum son travail et sa production. Cette vision de l’écriture me fait penser aux propos de Howard Becker dans Les Mondes de l’art (1982) : il faut voir le moment unique de la production artistique comme étant pris dans un ensemble qui va de la diffusion à la consommation et qui nécessite l’interaction de différents acteurs qui se coordonnent pour valoriser l’œuvre d’art (ici, une autrice et sa maison d’édition). Mal utiliser les réseaux sociaux ou les laisser complètement de côté – et donc « oublier » la diffusion, c’est prendre le risque de ne pas arriver à se démarquer dans l’immense quantité de produits artistiques et culturels arrivant par vagues régulières sur le marché. « Je suis trop nouvelle dans le monde de l’édition pour avoir un avis éclairé sur la question, mais je veux insuffler assez d’énergie au produit de ma passion pour qu’il puisse vivre de lui-même », conclut Nina.

L’histoire de Nina prouve bien qu’être audacieux, tenter sa chance et essayer passionnément reste bien souvent la clef de la réussite, qu’elle soit professionnelle ou personnelle. « Y arriver », c’est déjà oser se lancer et croire en soi, peu importe l’issue du projet (qu’on lui souhaite heureuse). Les mots de Victor Hugo me viennent à l’esprit à la fin de notre discussion : « Savoir, penser, rêver. Tout est là ». Et si on leur ajoutait agir ?

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