Dans Sub Sole (du latin « sous le soleil »), l’artiste Massao Mascaro dessine les contours d’une Méditerranée complexe dans une dérive photographique et géopoétique.
Deux ans après la publication de sa première monographie, Jardin , Massao Mascaro revient cet automne avec un nouvel ouvrage, publié par les éditions Chose Commune . Au cœur de ses images et écrasées de lumière : Ceuta, Naples, Palerme, Athènes, Istanbul, Tunis et Lampedusa, constellation de sept villes côtières, arpentées par le photographe français entre 2017 et 2021.
« Suivant l’itinéraire mythologique du voyage d’Ulysse dans l’Odyssée », le photographe, également enseignant à l’Académie Royale des Beaux-Arts de Bruxelles, met en image « le miracle antique » décrit par l’explorateur Sylvain Tesson dans ses chroniques Un été avec Homère : « Vingt et unième siècle : le Moyen-Orient se déchire, Homère décrit la guerre. Les gouvernements se succèdent, Homère peint la dévoration des hommes. Les Kurdes se battent avec héroïsme sur leur terre, Homère raconte la lutte d’Ulysse pour recouvrer son pouvoir usurpé. Les catastrophes écologiques nous terrifient, Homère brosse la fureur de la nature devant la folie de l’homme. Tout événement contemporain trouve écho dans le poème ou plus précisément, chaque soubresaut historique est le reflet de sa prémonition homérique . [...] Rien ne change sous le soleil de Zeus . »1
Dans l'œil de Mascaro, les pages écornées d'un dictionnaire se font artefacts archéologiques, une cabine téléphonique à l’abandon devient vestige d’un âge d’or révolu.
Sur la trame de fond géopoétique, ancrée dans les études homériques, les références se multiplient : les chevelures tressées sont les mailles de l’ouvrage de la patiente Pénélope tandis que les ruines des colonnes toscanes tournent le dos au clou solitaire.
Au fil des pages, Massao Mascaro construit et articule ses séquences pour que les motifs récurrents se succèdent et s’auto-référencent : un poulpe échoué et ses tentacules, les rayons des éléments architecturaux, les doigts d’une main largement écartés... Tout nous ramène au soleil et à sa couronne de lumière.
Finaliste du Prix Découverte Louis Roederer lors de la dernière édition des Rencontres Photographiques d’Arles, Massao Mascaro dresse le portrait d’une jeune génération résiliente mais menacée. Il photographie « des espoirs, des mains qui se serrent et des cœurs qui cognent . » 2 La simple silhouette menaçante d’un mirador suffit à évoquer les tragédies humaines dont la mer est le théâtre. Déjà deux hommes se faufilaient sous un grillage quelques pages plus tôt.
La simple silhouette menaçante d’un mirador suffit à évoquer les tragédies humaines dont la mer est le théâtre. Déjà deux hommes se faufilaient sous un grillage quelques pages plus tôt.
Les femmes, elles, se font rares sous le soleil du photographe. Quand elles ne sont pas noyées dans la foule ou représentées de dos, leur regard fuit l’objectif. Ce constat est révélateur de la disparité de genre en ce qui concerne la traversée de la Méditerranée (« les femmes constituant entre 1/5e et 1/6e des personnes migrantes qui [la] traversent » ) mais également d’un rapport de force et d’un contexte peu favorable aux femmes quant à l’appropriation d’un espace public dominé par la gent masculine.
Tout en suggestion, Sub Sole nage à contre-courant de séries d’images photo-journalistiques consacrées à l’exode migratoire ou des travaux de plasticien.ne.s invoquant le fantasme exotique de l’insularité comme Skipper, can I cross the river? de Renée Lorie.
Toujours non-légendées, les images sont parfois ponctuées de quelques courts extraits d'œuvres littéraires. À l’instar de Mythologies , la quête de beauté sensible de Letizia Le Fur, ou encore des Chants de l’asphodèle d’Agathe Kalfas et Mathias Benguigui, croisant deux récits de migrations de l’histoire de l’île de Lesbos, la littérature est déterminante dans l'épopée réflexive et philosophique de Massao Mascaro.
Sous ces latitudes méditerranéennes, Mascaro, soutenu dans son projet par la Fondation A Stichting, semble marcher dans les pas du poète grec Yannis Ritsos : « Ce pays est aussi dur que le silence, [...] il serre les dents. Il n’y a pas d’eau. Seulement de la lumière . » 3 Lumière qui, à travers le regard de l’artiste diplômé de l’ESA Le Septantecinq et de l’école madrilène Blank Paper (aujourd’hui Dynamo Visual Lab ), transforme bijoux de pacotille en trésors modernes et briques retournées, téléphone en charge et barres de fer en sculptures contemporaines.
L’Italien Federico Clavarino épilogue avec un texte dur mais réaliste où l'exotique soleil de plomb annonce l'imminence d'une tropicalisation mortelle, évoquant, entre autres, l'extinction de nombreuses espèces de méduses. Ironie du sort, lorsque l’on se remémore le destin funeste de la plus célèbre des Gorgones !
La sérigraphie d’une horloge défraîchie sur la couverture bleu océan évoque un grand astre blanc dont on aurait égaré les aiguilles. Hélios aurait-il perdu le nord ? Sa course est le miracle antique même, intemporel.
Un livre éblouissant.