Qui est David Giannoni ? Né à Nice en 1968, D.G. quitte la France pour l’Italie à quinze ans puis s’installe en Belgique à dix-neuf ans. Sa carte d’identité l’annonce Italien mais il se sent Italo-belgo-franco-… américain, son approche culturelle s’étant encore élargie par de fréquents et longs séjours outre-Atlantique. Psychologue de formation, il œuvre comme psychothérapeute tout en assurant la responsabilité d’une cellule pour les sans-abri. Parallèlement, il dirige une jeune maison active et ambitieuse… et fait partie d’un mouvement international prônant la réEvolution poétique.

Et maelstrÖm ? C’est une cellule éditoriale qui publie peu mais bien, très bien même : la poésie de Jodorowsky (créateur polymorphe popularisé par ses collaborations avec le dessinateur Moebius), une nouvelle édition de la Pierre de folie d’Arrabal (le premier livre du mouvement Panique post-surréaliste) ; Blind Poet , une anthologie de textes inédits de Lawrence Ferlinghetti (le père de la Beat Generation ; l’ami-éditeur des Ginsberg, Dylan et autres Corso) ; Lux mea , une remarquable anthologie poétique consacrée à l’un de nos plus grands écrivains, Gaston Compère. Et à côté de ces valeurs confirmées, de jeunes talents comme Sophie Buyse ( l’Organiste ), Chantal Deltenre (prix Jean Muno 2003 pour la Plus que mère ), l’illustrateur Nikolas List ou Evrahim Baran qui, à la manière de la dessinatrice Marjane Satrapi, nous fait découvrir la vie des Iraniens d’aujourd’hui.

Une interview de D.G. ménage quelques surprises. L’homme est féru de culture, la grande et l’underground ; il aime manier l’humour ou l’envolée, tantôt lyrique, tantôt teintée d’un surréalisme bien belge. Pourtant, qu’on ne s’y trompe pas : loin de tout artifice, D.G. est avant tout un homme intègre et positif, qui respire à l’ancienne entre ses écrans, ses chats, ses tonnes de bouquins disséminés un peu partout et les multiples peintures de sa compagne ; qui vous parle d’art et d’hommes avec appétit, comme on savourerait un plat exquis… à l’italienne !

Comment et pourquoi êtes-vous entré en édition ?
Enfant, je lisais énormément mais je me voyais astronome. Tout est arrivé au tournant de mes dix-neuf ans lorsque j’ai découvert la nouvelle Maelström d’Edgar Poe. Un choc ! Suivi d’une relecture à travers l’éclairage de Borges. Ce texte extraordinaire m’apparut alors comme une métaphore de l’initiation et son œuvre, en général, comme une entreprise de décloisonnement et d’invention. N’a-t-il pas, par exemple, ouvert la voie au roman d’investigation ? Avec un ami, j’ai lancé une revue belgo-italienne, maelstrÖm , mêlant poésie et nouvelles (des numéros autour de Kafka, Poe, Greenaway), qui a compté jusqu’à quatre-vingt( collaborateurs. Elle voulait élargir le sillon creusé par Poe mais aussi Gurdjieff ou René Daumal. La recherche de soi, l’exploration et la confrontation avec l’altérité, d’autres univers, d’autres perceptions. maelstrÖm s’est ensuite décliné au cinéma : j’ai coécrit le film Polders , d’après Gaston Compère, passé sur Arte ; nous avons produit des courts métrages, des concerts rock. Mais les idées de base restaient les mêmes. Et je suis revenu à la littérature en intégrant maelstrÖm sous la forme d’une collection dans les structures éditoriales Edifie puis Images d’Yvoires. Avant de réaliser que maelstrÖm devait voler de ses propres ailes, s’assumer complètement. C’est ce que j’essaie de réaliser à présent. En publiant la poésie de Jodorowsky et une réédition de la nouvelle de Poe, j’ai déjà réalisé deux de mes trois grands rêves d’éditeur. Quant au troisième, je ne puis encore en parler… (NDLR : L’interviewer, à sa plus grande joie, se voit confier le secret. Mais chut ! Un collaborateur d’ Indications meurt mais ne parle point !)

Êtes-vous heureux comme éditeur belge ou vous dites-vous qu’une petite place à l’ombre de la tour Eiffel… ?
Ultra-heureux ! Et je remercie du fond du cœur la Promotion des Lettres belges, un service de la Communauté française de Belgique, qui m’a aidé dans bien des entreprises éditoriales. Et je ne parle pas que de subsides ; il y a aussi la reconnaissance qui s’attache à la sélection.

Que pensez-vous du microcosme littéraire belge ?
Mais pour moi, il n’y a pas de microcosme belge. Hélas. Le Belge n’est pas assez chauvin, il regarde trop ce qui se fait en France. Bien que mes rapports avec les médias soient bons, je regrette leur conformisme, surtout celui du service public. Pour ne parler que de Maelström , nous avons sorti le premier recueil de poésie de Jodorowsky traduit en français ou des inédits de Ferlinghetti (après trente ans d’absence éditoriale en langue française !), mais la séquence littéraire du journal télévisé national a préféré évoquer le dernier roman d’Amélie Nothomb, qui n’a pas besoin de cette publicité. De manière plus générale, on parlera du succès parisien d’un de nos représentants plutôt que des initiatives ancrées sur notre territoire.

La solitude du coureur de fond ?
Oui, dans le sens où je me sens une sorte d’extraterrestre dans le paysage éditorial belge. Mais résolument non, aussi. Car il y a le soutien de la Communauté française, évoqué plus haut ; une intense complicité avec les auteurs ; enfin, de fabuleuses synergies, à l’échelon international avec City Lights à Florence, Hermaphrodite à Nancy ou City Lights Publishers à San Francisco. Merci aux compagnies aériennes low cost qui nous permettent de prendre un verre à Rome ou New York pour débattre d’un projet ; merci Internet ! En attendant la télépathie parfaite ou la télétransportation .

Comment découvrez-vous vos auteurs ?
Grâce à la danse de la réalité (sic !).

Euh… mais encore ?
Je vis, je bouge beaucoup, je rencontre pas mal de monde ; des gens qui m’en envoient d’autres, aux États-Unis, en Italie, partout… Je n’aime guère recevoir de manuscrits. Je préfère qu’on me contacte d’abord par mail ou téléphone, sentir s’il y a un déclic, une étincelle avec l’auteur. En tous les cas, faites savoir que je ne rappelle jamais (pas de message sur le répondeur !) et je ne réponds qu’aux courriers accompagnés des timbres nécessaires.

Vous fonctionnez au coup de cœur ou en fonction de critères précis ?
Au coup de cœur, et je n’exclus rien a priori : roman, poésie, contes… La stratégie, je la réserve à la programmation.

De la littérature uniquement ?
Nous venons de publier coup sur coup une anthologie de Gaston Compère accompagnée d’un CD de musique contemporaine, la première BD du jeune prodige Nikolas List, un livret de performances d’Antonio Bertoli (poète) et Marco Parente (guitariste pop-rock). Et nous comptons nous ouvrir un jour aux sciences humaines.

Quel type de contrat réservez-vous à vos écrivains ?
Contrat classique. Pas d’à-valoir, mais 10 % de droits d’auteur. Je refuse catégoriquement le compte d’auteur, qu’on se le dise. Car dépendre de ce type de rentrées aliène le pouvoir de décision. Moi, si je ne découvre rien d’intéressant, je peux me permettre de ne rien publier.

Vos portes sont réservées aux auteurs de chez nous ?
Je me fiche des nationalités et des étiquettes : Baran est iranien ; Guilbault, québécoise ; Ferlinghetti, américain ; Arrabal, espagnol, etc. Et si demain je rencontrais un extraterrestre, je lui demanderais aussitôt s’il n’a pas un poète à me présenter. Ah, être le premier éditeur à publier un auteur extraterrestre, ce serait l’aboutissement suprême du projet maelstrÖm, non ? (NDLR : Lyrisme italien, surréalisme belge ou imaginaire américain ?)

L’édition : un sacerdoce ?
Malgré les subsides, ce n’est pas un moyen de gagner ma vie, ça non. Ou plutôt si, de la gagner. Mais en termes spirituels. Vous savez, je fonctionne à l’enthousiasme, je vis la rencontre avec une œuvre comme une célébration, un plaisir, un bonheur.

Combien de livres publiez-vous annuellement ?
Nous tournons autour des quatre à six ouvrages, et comptons nous y maintenir, même si j’ai pu progressivement m’entourer de collaborateurs fiables. Prochainement, nous publierons On vit drôle , roman d’Otto Ganz et Anne Guilbault, coédité avec Adage (Québec) ; la Cérémonie des poupées (d’après une tradition japonaise), le magnifique deuxième roman de Chantal Deltenre ; ainsi que le prochain livre de Sophie Buyse et une mouture actualisée de l’Épopée de Gilgamesh … Mais il y a toujours de la place pour de jeunes talents, des inconnus. Mon objectif/utopie ? Que les lecteurs exigeants prennent la peine de découvrir des écrivains/univers qui changent leur vision du monde. C’est ça l’idée initiale, le cœur de maelstrÖm.

Le concept maelstrÖm fête ses quinze ans. Comptez-vous marquer le coup ?
Oui, nous allons faire la fête toute l’année. Des actes de réévolution poétique vont être proposés (avril ?), des rencontres-perfomances durant la Foire du livre de Bruxelles (mars), avec Nikolas List, Bertoli et Parente, le collectif des amis d’Hermaphrodite… Vers mars ou avril, nous fêterons publiquement les quatre-vingts ans de Gaston Compère, une soirée où poésie et musique seront mêlées. Entre octobre et novembre, il y aura notre participation au Festival Teranova en Lorraine, une exposition… et la fiesta finale à Bruxelles, avec tous les amis, que je vous promets mémorable.

Boutique-Librairie MAELSTRÖM 4 1 4
364 chaussée de Wavre
B-1040 Etterbeek
www.maelstromreevolution.org
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