critique &
création culturelle

L’art de rien

Contempler la simplicité

Atlas portant un œuf dur sur ses épaules, des miroirs cassés, une pétition pour « rien »… Jusqu’au 17 mars, la CENTRALE à Bruxelles accueille les créations minimalistes d’une septantaine d’artistes belges autour d’un thème aussi vaste que singulier : « rien ».

Depuis le 23 novembre 2023 et jusqu’au 17 mars 2024, le centre d’art contemporain de la Ville de Bruxelles présente L’art de rien, une exposition collective d'œuvres réalisées sur le thème du « rien ». C’est-à-dire le détournement minimaliste d’objets du quotidien sur lesquels on ne pose jamais le regard. Ceux-ci sont à peine transformés, juste de quoi dévier leur utilité première vers une forme poétique ou ludique.

« Si l’on peut trouver “moins que rien”, c’est que rien vaut déjà quelque chose ! », nous rassure Raymond Devos. Alors on cherche ce « quelque chose » dans l’immense place à l’interprétation que nous accorde chacune des réalisations. Certaines nous touchent, par leur esthétique ou par le message qu’on y devine. Le Grillage démêlé d’Élodie Antoine (2014) en est un bon exemple : l’illusion de cette barrière fondue déconstruit la contrainte et l'autorité, en nous rappelant que rien n’est insurmontable.

Le « Grillage » démêlé d’Élodie Antoine (2014) © Fondation Francès

À l’inverse, il faut reconnaître que d’autres créations restent dénuées de sens aux yeux des visiteurs livrés à eux-mêmes, car un sujet commun aussi vague ne peut empêcher de recouvrir différents niveaux d’abstraction. Par conséquent, quelques œuvres plus figuratives font de l’ombre aux matériaux bruts qui paraissent inaccessibles, muets, « trop rien »… Sans être sauvés par leurs petits titres flous, en-dessous desquels on aurait aimé lire quelques mots d'explications supplémentaires afin de considérer également chaque travail.

À l’heure où les « boomers » se demandent s’ils peuvent encore rire de tout, ils seront soulagés de pouvoir rire de rien. Je ne parle pas ici de ceux qui se moquent de la démarche artistique, mais des quelques créations qui invitent à sourire, telles que la pipe simplement cassée de Ceci n’est plus une pipe (Wolfgang Schulte & Liana Zanfrisco, 1999) ou la collection des « objets langagiers », employant l’art minimaliste du jeu de mot. Des rires discrets viennent ainsi rompre le silence académique de la salle d’exposition. Malheureusement, on ne devine pas toujours l’intention des créateurs (s’ils en ont une) : faire rire ou méditer ? C’est pourquoi il arrive à chaque visiteur de rigoler d’une œuvre plus profonde, comme de contempler un détail ironique avec son regard le plus sérieux.

Hier, le monde entier s’insurgeait contre deux militantes ayant jeté de la soupe sur la vitre de protection d’un tableau valant des millions. C’est justement cette vision classique d’un art intouchable et inestimable que vient bousculer L’art de rien, en recouvrant par exemple une banale caisse en plastique de feuille d’or. François de Coninck, le commissaire de l’exposition, expose ainsi sa singularité :

« Dans ce champ de l’art actuel marqué, comme d’autres champs de production et de consommation, par la prolifération des matériaux et des moyens technologiques coûteux, le dépouillement formel, la pauvreté tangible de ces œuvres nées de presque rien donnent un surcroît de sens, et de beauté, à leur fragile présence en ce monde clinquant. »

Ici, ce ne sont plus la complexité ni les heures de travail qui font la réussite de l’œuvre. On contemple la simplicité d’un jeu de mot, la brutalité d’une valise faite d’un rocher, et leur volonté commune de casser les codes. Soudain, tout objet devient admirable, tout devient art… et on finit par s’arrêter naturellement devant l’extincteur du musée, avant de comprendre qu’il ne fait pas partie de l’exposition.

Même si chaque création ne mettra pas tout le monde d’accord, les rires, les soupirs et les regards captivés donnent vie à ces objets oubliés. On sort de L’art de rien le sourire aux lèvres et la tête pleine de réflexions.

L’art de rien

CENTRALE for contemporary art, Bruxelles

Jusqu’au 17 mars 2024

Curateur : François de Coninck

Avec les œuvres de Leo Copers, Élodie Antoine, Alain Rivière…