critique &
création culturelle

Reptiliennes

Hors de contrôle, que reste-t-il de l’amour ?

L’idée de voir sur scène six personnages en quête d’amour et de satisfaction semble assez innocente. Et pourtant, dans Reptiliennes, c’est le point de départ d’une pièce de théâtre qui, en mettant à l’épreuve la notion de couple, aborde les thèmes de la libération face à la nécessité du contrôle et du relationnel dans ses plus grands dysfonctionnements.

Alors que la scène est plongée dans un noir complet, Robert entre, les yeux rivés sur son écran de téléphone qui éclaire son visage. Il s’agite dans l’espace, puis s’arrête face au public et affirme : « Elle a vu ! » Ces quelques secondes d’introduction lancent le personnage dans un monologue sur les difficultés qu’il rencontre dans ses relations amoureuses. Le temps d’une soirée, Robert reçoit ses amis et Lola, la fille qu’il commence à fréquenter et avec qui il espère voir naître quelque chose de sérieux. Malheureusement, censés soutenir leur ami dans sa poursuite, les autres personnages mettront cet objectif en difficulté. Par une mise à l’épreuve du couple dans sa vision conformiste, la pièce révèle les désirs les plus profonds des uns et des autres, mais aussi leur égoïsme : face au drame, ce sont les exigences propres qui l’emportent, en dépit du bonheur des autres et, parfois, de leur dignité.

Le titre, Reptiliennes, renvoie à la théorie du cerveau reptilien, siège de nos besoins primaires. À partir de ce concept, évoqué par Robert au début de la pièce, les personnages examinent la question du lâcher-prise à l’inverse de la maîtrise, du laisser-aller à l’inverse de la préparation et l’anticipation. La pièce répond entièrement à cette ambivalence, provoquant un immense désordre qui semble tantôt bénéfique, tantôt destructeur. Là où il est toujours plaisant de voir la représentation de ce genre de sujets sur scène, le traitement même peut laisser moins enthousiaste. Reptiliennes appartient au genre de la comédie noire, ce qui fonctionne parfaitement avec la démesure révélée par le thème de la pièce ‒ toutefois, il me semble important d’incorporer une petite dose de prudence dans la manipulation de certains sujets.

Dans l’ensemble, la pièce fait beaucoup rire : le comique de situation est bien présent, les comédiens délivrent d’excellentes réparties et ont un sens du rythme excellent. L’humour très actuel fonctionne. Le public du Théâtre Montmartre Galabru, composé en grande majorité de jeunes parisiens, s’avère particulièrement réceptif, et on ne s’ennuie à aucun moment tant les rebondissements sont nombreux. Les personnages s’affirment dans leur caractère et dans leur style de manière précise. Ils restent fidèles à eux-mêmes et sincères jusqu’à la fin de la pièce, même quand tout vole en éclat et qu’il ne reste plus grand chose à sauver de leurs amours, de leurs amitiés, de leurs biens personnels. Cela peut néanmoins frôler la caricature, autant dans leurs relations que dans la personnalité de chacun, et il est difficile de savoir si c’est voulu ou non : l’extrême audace d’Opale face à la fausse retenue de Lola, la maladresse de Robert face au charisme de Tom... Cette énergie forte et dynamique est enveloppée par une scénographie simple et chaleureuse, représentant l’appartement de Robert et Tom avec son plan de travail en brique, une étagère où trône un tourne-disque. La pièce est accompagnée d’un usage très intelligent des lumières et du son, particulièrement avec la musique qui s’incruste à des moments-clés au sein des dialogues, soit pour appuyer les discours des protagonistes soit pour leur couper la parole. Soulignons aussi le talent des jeunes acteurs : ils abordent un thème qui parle à tout le monde de manière créative, en engageant le public dans leurs égarements du début à la fin. 

Même si la pièce est drôle, certains aspects liés à cette comédie noire peuvent être déplaisants. Cela va peut-être à l’encontre des enjeux de la pièce, mais même l’humour noir nécessite une dose de mesure au risque de laisser l’obscène prendre toute la place en remplaçant le rire par de la gêne pure. Quelques scènes vont un rien trop loin dans le vulgaire et ne sont pas nécessaires, ni au bon déroulement de la pièce, ni à augmenter le niveau de comique. La volonté de choquer est évidente, et cela ne présente pas un problème en soi : la provocation dans l’art n’est pas chose nouvelle et peut être très intéressante pour soulever des questions, mettre à l’épreuve des acquis, ou simplement provoquer le rire. Néanmoins, dans l’excès, le risque devient de faire des blagues maladroites et d’instaurer un malaise sans que celui-ci ne questionne quoi que ce soit. Il y a sans doute un  manque de balance important entre les motivations des artistes et l’exécution, et on pourrait se passer d’une ou deux scènes. La pièce trouvera certainement son public, et beaucoup rigoleront de tout, mais j'exprime toutefois mon étonnement suite aux gloussements dans le salle lors d’un passage qui s’apparente à une tentative d’agression sexuelle. Ne sollicitons pas le grotesque à la légère pour aborder n’importe quel thème.

Reptiliennes 

de Studio 7 de Cœur
Auteur et metteur en scène : François Haueter
Avec Mélanie Comminge (Opale), Olivia Cros (Lola), Edouard Dajon (Robert), Ali Hasniou (Farid), Stéphane Piller (Tom), Rosalie Hamet (Cathy)
Tous les vendredis du 15 septembre au 01 décembre 2023 au Théâtre Montmartre Galabru, à Paris