critique &
création culturelle
Stereo Mind Game de Daughter
La promesse contre la distance

Quand un groupe de musique regagne la scène avec un tout nouvel album après quelques années de hiatus, la nostalgie se mêle souvent à la surprise. Avec Stereo Mind Game , sorti en avril 2023, Daughter propose une inhabituelle manifestation d’optimisme au cœur du tourment qui compose généralement la musique du groupe anglais.

En avril dernier, les fans de Daughter ont redécouvert le groupe indie folk sous un nouveau jour à la sortie de l’album Stereo Mind Game. Le trio britannique, formé par Elena Tonra, Igor Haefeli et Remi Aguilella, ont surpris le public à l’issue de leur troisième album studio, sept ans après la sortie de Not to Disappear . « Be On Your Way » lança cette nouvelle ère comme parfaite introduction à un ensemble de douze chansons parcourant les thèmes de la distance, de l’isolement et de la promesse. Le nom Stereo Mind Game indique déjà la couleur que prend l’album à partir du premier mot : en audio, « stereo » signifie que des sons proviennent de plusieurs sources en même temps. Dès lors, un « stereo mind game » renverrait à des confrontations mentales et internes, différentes voix qui se répondent et se heurtent les unes aux autres. À la nostalgie de retrouver une musique introspective qui a accompagné une série de fans face aux émotions complexes de l’adolescence, s’est mêlé un sentiment de surprise de la part des auditeurs : en effet, aux côtés de l’exploration des agitations intérieures, les textes accueillent habilement un optimisme neuf qui semble éclore d’une forme de maturité que le groupe a fait germer pendant sept ans de pause. Cette interruption, lancée au départ pour permettre aux membres du groupe de développer d’autres choses sur le côté (comme le projet solo Ex:Re d’Elena Tonra sorti en 2018), fut rallongée à cause de la pandémie quand le trio voulut recommencer à travailler ensemble

L’effet de surprise provient non seulement de la nature des thèmes évoqués dans les chansons, mais également de leur traitement à travers les paroles. Les textes, écrits principalement par Elena Tonra, dépeignent les difficultés liées à la relation à distance. Cependant, et contre toute attente, les chansons regorgent de notes d’espoir et de confiance malgré l’éloignement et la solitude. L’obscurité habituelle des sujets amoureux de Daughter fait place à des touches de lumière qui donnent un nouveau souffle à la voix d’Elena. Dans l’ensemble, l’album reste néanmoins lancinant car ces promesses naissent de craintes par rapport au couple et à soi-même ‒ la distance avec l’autre se transforme en distance avec ses propres repères personnels. D’ailleurs, l’inquiétude s’incarne dans les métaphores récurrentes de la nage et de l’océan qui parcourent l’album : dans « Swim Back », le texte dit « I'd just need to erase distance / Find a hole in the ocean / Swim backwards ». « Be On Your Way », premier single de Stereo Mind Game , est une introduction idéale à l’album et donne le ton à ce qui va suivre : la nervosité de voir l’autre s’éloigner va de pair avec le plaisir de le voir s’épanouir de son côté et la promesse de se retrouver.

I won't hold you back
Time throws us around
And there is never just one future plan
Our lifetime dreams aren't bound
And you won't hold me back
Won't keep ourselves awake
Believe me friend, my soul estranged
I will meet you on another planet if the plans change

Encore une fois, ces marques d’optimisme sont assez inédites par rapport aux albums précédents de Daughter, mais n’enlèvent en rien la qualité introspective et cathartique à Stereo Mind Game. Au contraire, cette évolution témoigne d’un gain de maturité qui pourrait répondre à un désir d’avancer malgré les difficultés rencontrées à l’âge adulte. Le groupe emmène son public à travers un cheminement qui répond à certaines habitudes tout en le guidant vers des routes inexplorées. En outre, cette nouveauté dans le traitement du sujet amoureux s’inscrit également dans de différentes sonorités. S’éloignant légèrement des influences dream pop des albums précédents, qui donnaient aux morceaux un style assez aérien et délicat, Stereo Mind Game regorge de sons plus saturés et d’instrumentalisations bien plus denses. De cette manière, les productions de Daughter s’assimilent davantage au rock alternatif et surprennent les fans à la première écoute. Rapidement, il est toutefois possible de reconnaître la touche singulière du trio car la musique garde cette dimension éthérée assez submergeante. « Future Lover » correspond à cette expérimentation thématique et musicale en exploitant ces sonorités inhabituelles pour couvrir le thème de la relation à distance, du doute à l’espoir des retrouvailles. À l’inverse, le texte un peu plus sombre et tourmenté de « Party » se distingue du reste. D’ailleurs, on retrouve le titre de l’album dans ce morceau : « I’ll creep the volume up, I’ve got to drown myself out / she’s a rattlesnake / some stereo mind game I play with myself / she’s on repeat, throwing up memories that I haven’t deleted. »

Stereo Mind Game illustre parfaitement le retour du groupe sur la scène musicale et l’évolution de leur musique, de la déception amoureuse à la volonté de construire et de s’accrocher à quelque chose de précieux. Dans une interview pour Apple Music, Igor, le guitariste, le présente bien : « D’après moi, tous nos albums ont comme sujet le changement, l’épanouissement. Mais avec celui-ci, il était plus question d’avoir de l’optimisme et de la maturité émotionnelle. » Dans cette même énergie, les clips vidéos sont très contemplatifs et vont de pair avec des paroles plus introspectives. Daughter a su maintenir les éléments qui donnent au groupe sa particularité tout en les fortifiant. Finalement, l’album entraîne de plaisantes retrouvailles entre le trio et ses fans.

Stereo Mind Game

Daughter

Glassnote, 2023