critique &
création culturelle
Shining
Vient jouer avec nous

Oscars du cinéma 1975 : Jack Nicholson rafle le prix du meilleur acteur pour sa géniale interprétation de Randall McMurphy dans Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman. S’ensuivra un golden globes dans la même catégorie. Au sommet de son art, les limites de la folie semblent ne pas exister chez lui. Il le prouvera encore cinq ans plus tard en offrant l’interprétation la plus iconique de sa carrière : Jack Torrance dans Shining de Stanley Kubrick.

Nous sommes en 1975 et Barry Lyndon de Kubrick est un échec au niveau financier. Malgré les qualités visuelles du film, le public n’accroche pas, le trouvant trop lent et trop long (3h05). Face à ce revers, le metteur en scène décide de réaliser un film commercial pour combler ses pertes. D’abord approché pour réaliser l’Exorciste (qui sera finalement mis en scène par William Friedkin), Kubrick refusera pour des soucis de production, et se tournera plutôt vers le roman à succès de Stephen King : The Shining .

Jack Torrance, un écrivain en manque d’inspiration, accepte de garder l’immense Overlook Hotel durant l’hiver. Lors de son entretien d’embauche, il apprend que l’ancien gardien, Delbert Grady, a sombré dans la folie et assassiné son épouse et ses deux filles. Aucunement inquiété par cette annonce, Jack accepte le job. L’auteur, sa femme et son fils vont se retrouver seul dans l’hôtel. Très vite, l’isolement se fait sentir et Jack laisse entrevoir des signes de démence. Sa chute vers une folie meurtrière commence.

Au moment d’écrire le scénario, des tensions naissent entre Kubrick et King. Le réalisateur préférera travailler sur l’écriture avec la romancière Diane Johnson plutôt que d’adapter la version préparée par Stephen King. Ce qui donnera finalement lieu à plusieurs différences importantes avec le livre. Par exemple, l’alcoolisme de Jack n’est pas mentionné dans le film, Kubrick préférant mettre en avant la schizophrénie.

Metteur en scène réputé pour être exigeant et qui finit par obtenir ce qu’il veut, Kubrick sera particulièrement perfectionniste sur Shining afin d’obtenir les meilleures prises possibles à chaque scène . En plus d’être en constant désaccord avec Stephen King, le réalisateur mettra à rude épreuve l’actrice Shelley Duvale durant tout le tournage. Le meilleur exemple ? La scène de l’escalier où Jack menace Wendy a été tournée… 35 fois ! Un tournage éprouvant pour la jeune actrice, qui donnera au final une prestation très convaincante malgré ses nominations aux Razzie Awards (parodie des Oscars) de la pire actrice.

Pour le rôle de Danny, Kubrick auditionne plusieurs milliers d’enfants. Ce sera finalement Danny Lloyd, alors âgé de 6 ans, qui sera repris. Durant tout le tournage, le réalisateur cachera à l’enfant qu’il tourne dans un film d’horreur afin de ne pas le déstabiliser. Le moins que l’on puisse dire est que le choix fût judicieux. Pour son jeune âge, Lloyd est tout à fait convaincant. Lors des scènes où son shining (capacité de voir le passé et l’avenir) se manifeste, l’enfant fait preuve d’une grande maîtrise dans son jeu.

Si Shining est aujourd’hui au panthéon des plus grands films d’horreur, il le doit avant tout à la terrifiante interprétation de Jack Nicholson. Lorsque la production propose l’acteur Robin Williams dans le rôle de Jack, Kubrick refuse. C’est après Vol au-dessus d’un nid de coucou que le réalisateur choisira Nicholson. Le résultat est tout simplement saisissant de réalisme. Regard rempli de haine, mimiques nerveuses, l’acteur est totalement habité par son personnage.

Shining s’écarte de films comme Massacre à la tronçonneuse ou encore Halloween, pour se rapprocher plutôt de Rosemary’s Baby ou de l’ Exorciste , avec une lenteur volontaire qui installe une sensation de malaise constant. Ici, c’est avant tout l’ambiance de l’hôtel qui fait naître un sentiment d’angoisse. En suivant les journées de cette famille, le spectateur s’immerge dans un quotidien, une solitude. Et c’est justement cette absence de vie qui permet de mieux mettre en lumière la dégradation mentale de Jack Torrance. Ici, presque pas de jump-scares. Non, dans Shining la peur est avant tout psychologique car elle crée des angoisses chez son spectateur et joue avec. Comment être persuadé d’être réellement seul ?  Au milieu de cette ambiance pesante et anxiogène, des scènes plus effrayantes viennent accentuer le tout. Que cela soit les apparitions des jumelles, la scène de la salle de bain, l’ascenseur qui déverse un torrent de sang, le rythme du film varie entre lenteur et moment de pure terreur.

Visionnaire et toujours à la recherche d’innovations, Kubrick mettra au point un procédé révolutionnaire pour le film. Après avoir réussi à filmer des scènes entièrement éclairées à la bougie dans Barry Lyndon grâce à un objectif conçu pour la NASA, il choisit de placer une steadicam (caméra sur harnais qui permet de prendre des images en mouvement de manière fluide) sur des roulettes. Cette idée va permettre de filmer les angoissantes balades à tricycles de Danny dans les couloirs labyrinthiques de l’hôtel de manière très fluide. Véritable prouesse pour l’époque, la renommée de Shining tient également dans son utilisation de la caméra.

À sa sortie, le film rencontre tout d’abord un succès relativement mesuré avant de devenir une réussite commerciale. Si certains reprochent à Kubrick de s’être trop éloigné de l’œuvre originelle, le film recueille des critiques plus élogieuses quelques années plus tard, pour finalement devenir un classique du cinéma d’horreur. 40 ans après sa sortie, le film n’a rien perdu de son aura si particulière. Invitation à la lenteur et à l’immersion, Shining est un ovni dans le paysage de l’horreur, et par la même occasion un nouveau coup de maître de Stanley Kubrick.

Même rédacteur·ice :

Shining

Réalisé par Stanley Kubrick
Jack Nicholson , Shelley Duvall , Danny Lloyd
USA, 1980
119 minutes