Souvent imité, jamais égalé
Année 1973, le monde s’apprête à découvrir ce qui constitue pour bon nombre de personnes le plus grand film d’horreur de tous les temps. Alors que suivront quelques années plus tard des films tels qu' Alien, Halloween, Carrie et bien d’autres, aucun n’arrivera à provoquer le même tremblement de terre que l’Exorciste de William Friedkin.
L’histoire du film est assez simple : une mère (Chris McNeil) et sa fille (Regan McNeil) vivent paisiblement dans le quartier de Georgetown (Washington D.C.). Un jour, Chris entend d’étranges bruits venant du grenier. Au même moment, Regan se plaint de son lit qui se met à trembler. Ne croyant pas les dires de sa fille, elle constate par la suite qu’elle disait vrai. La vérité est que le démon Pazuzu a pris possession de Regan. Une seule solution : appeler un exorciste.
Adapté du célèbre roman de William Peter Blatty, connu pour ses scènes choquantes, le réalisateur William Friedkin n’a pas hésité à les retranscrire fidèlement à l’écran. Entre la scène du crucifix, celle de l’araignée (scène ajoutée dans la version 2001 et non présente dans la version de 1973, parce qu’il n’était pas possible d’effacer les fils à l’époque), le visage du démon qui tourne à 360 degrés ou encore l’arrivée du père Merrin (le réalisateur explique avoir été inspiré par le tableau de Magritte « L’Empire des lumières ») , tout est fait pour choquer et imprégner des images à jamais marquantes dans l’esprit du spectateur. L’Exorciste est un film qui laisse comprendre à ses spectateurs que même si la lumière existe, l’obscurité revient toujours.
Les thèmes du film sont probablement son importance première. La question du bien et du mal est un thème universel qui renvoie aux origines du monde. Elle fait écho aux possessions démoniaques combattues par l’Église depuis la nuit des temps et à l’existence même du diable. Autre point sensible du film, sa dimension sexuelle. Dans la fameuse scène du crucifix, Regan va injurier l’emblème même de l’Église catholique, chose extrêmement choquante à l’époque, où la religion était plus ancrée dans la société qu’aujourd’hui. Lorsqu’elle hurle « baise-moi, baise-moi ! », elle fait résonner les abus de prêtres dans l’Eglise catholique, sujet extrêmement délicat.
Il est important de se replacer dans le contexte de l’époque. En 1973, voir un film mettant en scène une petite fille dans de telles situations (pour certaines scènes, une doublure sera utilisée), c’était du jamais vu. Il suffit de regarder des archives de réactions à la sortie du film pour se rendre compte du choc que le film a provoqué.
Il est vrai qu’aujourd’hui l’Exorciste peut faire sourire par ses effets spéciaux quelque peu datés ou encore par ses jumpscares plus tellement effrayants, mais c’est sans doute parce que, au fil des années, chaque film d’horreur tente de repousser les limites du supportable . Il ne faut pas oublier que le film va bientôt avoir 50 ans et que malgré tout, l’Exorciste garde une aura que très peu ont su conserver .
Lors de sa sortie, le film récolte plus de 190 millions de dollars au box-office. C’est aujourd’hui un des films d’horreur le plus rentable de l’histoire du cinéma. Devant un tel succès, il paraît logique que les studios aient décidé de continuer à exploiter ce filon avec deux suites. Malheureusement, elles ne seront pas aussi bonnes et continuent encore de diviser ceux qui l’ont vu aujourd’hui.
Il est intéressant de noter que le montage remasterisé de 2001 comporte des scènes qui n’étaient pas présentes dans le film de 1973, pour des raisons de moyens technologiques qui n’étaient pas les mêmes. La version d’époque permet d’apprécier l’objet culte de 1973, sans artifices ajoutés, c’est-à-dire sa version la plus diabolique . Bien qu’elles n’ajoutent pas d’éléments pertinents pour l’histoire, les scènes complémentaires giflent un peu plus la rétine.
Un des points forts de l’Exorciste, et que l’on retrouve rarement dans les films d’horreur de ces dernières années, est qu’il ne tombe jamais dans la succession de scènes choquantes gratuites . Non, ici, le film puise avant tout sa force dans sa mise en scène. Chaque plan est réfléchi, avec ses propres symboles.
Les scènes où les personnages montent et descendent les escaliers, comme pour montrer qu’ils circulent entre le ciel et l’enfer, est un exemple de maîtrise symbolique. Autre exemple parmi tant d’autres, Les scènes d’exorcismes : elles sont montrées comme un combat de boxe, à travers des champs/contre-champs où les personnages s’échangent des coups, mais sans arbitre pour arrêter la rencontre.
Difficile de ne pas la citer, la scène de l’escalier. Ajout inutile pour certains, véritable instant de terreur pour d’autres, elle vient incontestablement inscrire dans l’esprit du spectateur une image qui ne le quittera plus. Son horreur, son montage rapide (la scène ne dure que quelques secondes), son imagerie (la bouche en sang), tout cela en fait une des scènes les plus choquantes du 7e art.
L’ancrage émotionnel avec les personnages est également très important. Friedkin, au bout de quelques secondes, arrive à rendre la relation entre la mère et la fille réellement attachante. Le principal point d’orgue émotionnel étant installé, et il ne quittera plus le spectateur par après. Tout le long, le réalisateur ne cessera de filmer les visages de près pour que son spectateur soit gagné par les émotions ressenties par les protagonistes.
Ici, tout est amené pour créer une angoisse constante pendant le visionnage. C’est aussi pour cette raison que ce film n’a jamais encore été égalé dans la catégorie de films parlant d’exorcisme, ou d’horreur en général. Enfin, difficile de ne pas la mentionner, la bande-son terrifiante. Devenu un véritable hit, le « Tubular Bells » de Mike Oldfield, angoissant et installant un sentiment de peur, participe pleinement à la dimension effrayante du film.
L’Exorciste est un monument de l’histoire du 7e art et bon nombre de films d’horreur s’en inspireront, sans pour autant provoquer le même séisme . Alors oui, le poids des années a beau se faire sentir, l’Exorciste est un film qui nous possède toujours autant.