Une phrase persifleuse, annonciatrice de l’horreur — injustice, torture, exécution, abject acharnement sur la personne du Chevalier de La Barre. (L’histoire est connue.)

C’est la phrase ici, sa forme vrillée, alambiquée, qui nous retient un instant.

Les ennemis affrontés portent la majuscule : les Français (sujet) / les Anglais (objet d’étonnement des Français).

Les Français passent , entre virgules. Le mouvement, un instant suspendu par l’incise, se trouve bientôt précisé : usurpateurs, ils passent (moralement) pour ce qu’ils ne sont pas.

Aux yeux de qui ? De tous ceux qui s’égarent hors de l’espace raisonnable du savoir, nous laisse entendre le philosophe.

Les voici donc, au détour d’une relative nonchalante et d’autant plus assassine, qualifiés d’inhumains.

Pis : leur inhumanité se manifeste à travers leur rapport à l’ennemi juré, et à l’humanité de ce dernier, par ailleurs purement négative, élémentaire : ne pas torturer.

Ou, plus précisément, pour ce peuple jouisseur par excellence que sont les Français : dire adieu au plaisir de la torture. Nouvelle offensive de notre auteur contre les siens1 .

Comme si cela ne suffisait pas, le grand Arouet ajoute un tour d’écrou ironique : les inhumains Français se plaignent de l’inhumanité anglaise qui leur a volé leur colonie.

Bref, l’ennemi nous dit ce que nous sommes : l’inhumain pour nous est celui qui nous prend nos possessions, et celui dont le raffinement est si peu développé qu’il renonce aux joies ineffables de la torture.

Après si puissante entrée en matière, tout est joué. Notre auteur peut attaquer le vif du sujet. Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d’un lieutenant-général des armées, jeune homme de beaucoup d’esprit et d’une grande espérance, mais ayant toute l’étourderie d’une jeunesse effrénée… On connaît malheureusement la suite.