critique &
création culturelle
Aubrun, l’absolue peinture
Un film de Frédéric Pajak

Un jeudi 23 juillet, Marseille. Il est midi et le festival du documentaire a ouvert ses portes la veille. Le cinéma Les Variétés  annonce un documentaire de Frédéric Pajak autour du peintre François Aubrun. Mais tout est dématérialisé pour cause de vous savez quoi, et on rechigne à nous vendre une place... après avoir reçu une leçon de morale sur les dangers qu’entraîne un achat de billet de la main à la main, l’esprit du Sud finit par triompher : masque sur le nez, nous voilà dans la salle.

Une petite heure en compagnie du fantôme de ce peintre qui rôde encore dans une église qui lui servait d’atelier face à la montagne Sainte-Victoire. C’est le territoire de Cézanne, certes ; pourtant, c’est à Soulages que l’on songe pour approcher l'esthétique de ce majestueux barbu aux yeux écarquillés, résidant perpétuel du Tholonnet. Des archives d’un entretien vidéo réalisé peu avant la mort d’Aubrun composent l’essentiel du commentaire sur sa peinture. Pajak s’efface devant cette œuvre qui l’a ébranlé lorsqu’il a vu un tableau exposé chez l’une de ses amie... Pajak dit : « lumière », « brume, « transparence », comme si ces mots avaient à eux-seuls le pouvoir de restituer l’émotion qu’il ressent autant que l’obsession du peintre. Comme dans une prière naturaliste, ces mots reviennent souvent. Une liquidité féminine traverse ces tableaux qui oscillent entre couleur et silence. Le blanc, le noir, une seule et même chose quand ce qui compte ce sont les vibrations ? Le peintre regarde par les mêmes fenêtres durant trente ans. Un millier de toiles emmagasinées là témoignent de son entêtement. Une série d’entre elles seront reproduites dans un livre volumineux publié aux Cahiers Dessinés, maison d’édition dirigée par Pajak.

© Zadig Productions / Caravel Production

Aubrun, l’absolue peinture suit ce processus et donne à penser ce qui relie l’homme à son œuvre par l’intermédiaire de celles et ceux qui l’ont connu : sa femme, ses six filles, son petit-fils,  quelques rares amis et critiques. Il s’agit de saisir au plus près la manière dont Aubrun s’est peu à peu fondu dans la réalité. Surmontant le dessin pour atteindre la nature ; puis se délivrant de celle-ci pour toucher du regard cette lumière qui baigne tout. Lorsqu’il n’y a plus ni ciel ni terre, ni arbres ni rochers, mais une respiration unique qu’il faut capter et restituer. Aussi, c’est une vie entière consacrée à ce travail de peindre : chaque jour, parfois chaque nuit. Et, comme le rapporte une de ses filles, dans la peinture, telle que la conçoit Aubrun, l’autre n’existe pas. Travail acharné d’un langage qui se veut avant tout participation au monde et n’admet pas de vacances. Les toiles comme autant de traces du passage furtif et laborieux dans la conscience d’Aubrun, dans sa solitude en attente. La montagne face à lui redevient ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : une espèce de divinité antique au cœur d’une civilisation disparue. Quelle est la place d’un tel homme ? Le film se fait une méditation pour livrer quelque chose de ce huis clos où se jouait le mystère d’une vocation. Ou plutôt, l’exercice d’une liberté dans l’amour et le respect des siens. Dans le sillage de Frédéric Pajak, nous nous interrogeons sur l’absolu de cette création qui se perd dans les brumes, dans l’air, pour laisser comme l’éclat vaporeux où puissent, un instant, se reposer nos questionnements.

Même rédacteur·ice :

Aubrun, l’absolue peinture

Réalisé par Frédéric Pajak

France, 2019

56 minutes