critique &
création culturelle

Don’t Worry Darling

Un thriller plus esthétique que féministe

Olivia Wilde s’affirme en tant que réalisatrice dans un thriller psychologique hollywoodien aux accents féministes, porté par la prestation convaincante d’une belle sélection d’acteurs. Sans pour autant marquer les esprits, Don’t Worry Darling nous offre un bon moment de divertissement.

Dans les années 1950, Alice (Florence Pugh) vit avec son mari Jack (Harry Styles) à Victory, une ville récemment construite en plein désert californien. Ils semblent y couler des jours heureux, comme s’ils étaient « en perpétuelle lune de miel », comme le fait remarquer leur voisine et amie Bunny, interprétée par Olivia Wilde, qui est aussi la réalisatrice du film. Plus qu’une ville, Victory est un projet entier de « développement de matériaux progressifs » pour lequel des hommes chanceux travaillent et ont reçu, en échange, une belle maison où emménager avec leur famille. L’alcool coule à flots, le soleil brille, les épouses peuvent profiter de la piscine et faire autant d’achats qu’elles le souhaitent tant qu’elles s’en tiennent à leur rôle de parfaite ménagère. Et qu’elles ne s’éloignent pas trop de leur quartier résidentiel.

Sans relâche, Alice fait briller les fenêtres, prépare de bons petits plats et se met sur son 31 pour accueillir son mari à son retour du travail. Seulement un jour, Margaret, l’une des voisines, part en vrille et se donne la mort. Cet évènement perturbe la tranquillité d’esprit d’Alice et lui met la puce à l’oreille : en quoi consiste précisément le projet Victory ? Que fabriquent les hommes toute la journée, au juste ? Et si Margaret avait raison et qu’ils cachaient quelque chose ? « On ne devrait pas être ici », avait-elle alerté les habitants.

Tout de suite ramenée à son statut de « gentille fille », Alice se retrouve seule face à ses interrogations. Petit à petit, le rêve américain s’effrite, jusqu’à s’effondrer. Cela commence par des flashs qui lui reviennent en mémoire. Des scènes de danse, des chorégraphies. Que cela signifie-t-il ? Les souvenirs se transforment en cauchemars jusqu’à devenir des hallucinations. Celles-ci se manifestent le plus souvent quand elle se regarde dans un miroir ou dans les vitres qu’elle nettoie avec dévotion. Ce qu’elle y voit est plus réel que ce que l’on pourrait croire. Les miroirs sont d’ailleurs omniprésents tout au long du film. Il y a certainement une référence à De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll, quand on sait que l’héroïne s’appelle Alice et son amie Bunny... Au-delà de cet intertexte, on peut y voir un rappel que sous les apparences étincelantes se cache parfois une sombre vérité. Une chose est sûre, Alice se sent écrasée, enfermée. Elle étouffe. Un mal-être remarquablement illustré par une scène où elle s’emballe dans du cellophane.

Cette sensation d’emprisonnement, d’écrasement est accentuée par des plongées totales. La caméra n’est presque jamais dirigée vers le haut, sauf pour représenter la fuite. Les plans sont souvent rapprochés, comme dans les moments d’absence d’Alice. Pire que des absences, elle est victime d’amnésies. On la croit folle, on la traite d'hystérique. Car le monde dans lequel elle vit est profondément machiste. Entre les remarques des hommes sur le corps des femmes et le contrôle que ces derniers exercent sur elles, ce n’est rien d’autre que le patriarcat dans sa forme la plus extrême, voire caricaturale.

Il faut reconnaitre la qualité du travail de Matthew Libatique, le directeur de la photographie : lumière chaude, couleurs pastel… le rendu est très séduisant et met en valeur les protagonistes. Les décors nous plongent aisément dans une ambiance rétro et chic, avec ses belles décapotables et ses rues arborées de palmiers ; sans oublier des costumes à faire jalouser les amateurs et amatrices de mode vintage. Les jeux de synchronisation du mouvement (notamment celui des voitures) et de symétrie (grâce aux miroirs, entre autres) participent de cette esthétique. La bande son, elle, suit l’évolution de l’intrigue en s’ouvrant sur une joyeuse Oogum Boogum Song suivie par d’autres classiques du R&B et de la soul et en versant ensuite dans l’angoisse de façon légèrement abrupte.

C’est en nous immergeant dans ce monde sectaire où les femmes sont sous l’emprise totale des hommes que Don’t Worry Darling s’approche le plus du film d’horreur. Autrement, les effets sonores (amplification des bruits, musique inquiétante) et visuels (hallucinations sanglantes, références cinématographiques) ne suffisent pas à atteindre la tension espérée. Pourtant, la prestation des acteurs est juste et convaincante, sans jamais tomber dans la surinterprétation. Harry Styles se débrouille bien dans le rôle de Jack, un homme désespéré ayant succombé à l’endoctrinement ; quant à Florence Pugh, elle campe à merveille le personnage d’une femme spontanée, complaisante mais non moins battante. Ceci dit, malgré le potentiel du film, le scénario ne leur donne pas l’occasion d’exploiter leur talent au maximum. On aurait voulu une Alice encore plus badass , déterminée, et un Jack plus nuancé, plus humain. Les rôles secondaires, dont celui de Bunny et de Frank, le fondateur du projet et gourou (incarné par Chris Pine), auraient quant à eux pu être davantage développés.

Outre cet angle manichéen, on est submergés par une foule de symboles et références qui se succèdent maladroitement. La référence la plus flagrante est sans nul doute le parallèle avec The Truman Show . Ici, on aurait la version actuelle et féminine. Sauf que Don’t Worry Darling n’est pas aussi jouissif et percutant. Il ne fait que survoler de nombreuses thématiques, plutôt que les aborder en profondeur. Que faire de tous ces messages ? Que retenir de tout cela ? Que rien ni personne n’est parfait ? Que ni le capitalisme ni le métavers ne mène au bonheur ? Que la révolution féministe est loin d’être gagnée ? Si l’intention de la réalisatrice était de nous donner des pistes de réflexion, malheureusement, Don’t Worry Darling ressemble plus à un bon divertissement qu’à un film coup de poing. Les acteurs sont beaux, la photographie est esthétique et colorée, la bande son accrocheuse : de quoi satisfaire nos yeux et nos oreilles, mais pas notre esprit. Comme si Olivia Wilde et son équipe avaient tellement soigné la forme qu’ils en avaient oublié le fond, à l’image des coquilles d’œufs vides qu’Alice écrase entre ses doigts.

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Don’t Worry Darling

Réalisé par Olivia Wilde

Avec Florence Pugh , Harry Styles , Olivia Wilde , Chris Pine

États-Unis, 2022
123 minutes

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