Dans Funérailles , Boris Lehman met en scène sa propre mort. Le film est construit comme une immense métaphore : il fait le vide dans ses affaires comme dans sa vie, il coupe les arbres qui « doivent mourir », il est habillé de blanc car il « n'est plus qu’un fantôme ». Cependant, Funérailles ne contient ni pathos ni morbidité, il traite la mort comme une blague, mais avec poésie. Le film est aussi un hommage à ses amis, qui y sont d'ailleurs acteurs, tout comme lui. Du narcissisme ? Non, s’il se met en scène, c’est parce qu’il est « le seul acteur bon marché et qu’il l'a toujours sous la main ».

On peut dire que la mort a toujours fasciné : imprévisible, mystérieuse, source de tristesse et de mythes. Au cinéma, bien sûr, par de multiples façons, mais aussi dans l’art contemporain où elle a inspiré de nombreux artistes tels que Sophie Calle ou Christian Boltanski. Là où Calle filme sa mère sur son lit de mort, Lehman se filme lui-même en se mettant en scène. Là où Boltanski reconstitue des instants de vie avec des objets, Lehman les entasse, les jette ou les brûle. En plus d’être du cinéma, Funérailles tient de la performance, et donc d’un certain art de la scène. On pourrait aisément l’imaginer se visionner dans une salle d’exposition à Art Brussels. Chez ces artistes comme chez Lehman, on trouve une volonté commune, peut-être celle de laisser un testament ou de rendre hommage.

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Au premier abord, on pourrait simplement rien n’y comprendre et se brusquer, comme on le fait souvent avec les films expérimentaux ou avec l’art contemporain. C’est un film certes difficile à aborder, mais Boris Lehman fait partie de ces réalisateurs qui explorent. Tout en s’éloignant des codes classiques du cinéma, il se concentre sur l’essentiel, ici la question de la mort et des traces qu’on laisse après être parti en fumée. Ce n’est pas un film classique mais il n’en est pas moins intelligent, sensible et fascinant. Intelligent car philosophique, en témoignent les nombreuses métaphores (Montaigne ne disait-il pas « philosopher, c’est apprendre à mourir » ?), sensible car poétique (les images sont d’ailleurs souvent appuyées par des textes comme l’Odyssée d’Homère) et enfin fascinant car il est captivant de voir une œuvre grandir et faire l’objet de trente ans de vie. Et si Lehman préfère dire « zut » à « je t’aime » aux gens qu’il aime, j’espère qu’il ne m’en voudra pas si je dis « zut » au dernier épisode de son œuvre.

Finalement, qu’est-ce que Funérailles ? Un documentaire ? Une fiction ? Un peu des deux, puisque tout est vrai et faux à la fois (cela reste une mise en scène même si beaucoup d’éléments sont réels, à commencer par les acteurs qui sont tous des amis). Alors quoi, un biopic ? Pas vraiment. Et si c’était un testament, un exercice d’apaisement ou encore une tentative de mettre le mot « fin » ? Peu importe le nom puisque, de toute façon, et il le dit lui-même, « on ne saura jamais vraiment qui est ni ce que fait Boris Lehman ».