critique &
création culturelle
Une histoire de reflet
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, premier long métrage


d’Adil El Arbi et de Bilall Fallah,


est à la fois un conte social,


une uchronie et une critique acerbe


des grands médias.

Nabil Mallat et Laura Verlinden.

Le film porte bien son nom : tout est question d’image. Eva travaille pour une chaîne de télévision flamande dont les responsables se fichent éperdument des problèmes qui sont aux sources des émeutes bruxelloises. Ils essaient simplement de sauver leurs audiences avec des sujets sensationnels. Le travail d’Eva dans les quartiers, où elle cherche à comprendre ses interlocuteurs, lui fait découvrir une réalité plus complexe, profonde et intime que celle qui est véhiculée par ses confrères.

Lahbib se trouve lui aussi dans une situation de paradoxe : il loue initialement ses services à Eva pour faire le « guide » mais occupe rapidement le centre de la scène. Il joue alors le rôle qu’on attend d’un petit chef de bande : celui d’un homme violent, gratuit dans sa cruauté et sa vulgarité. Pourtant, Lahbib développe rapidement une fascination (prémices amoureux que les réalisateurs ont la bonne idée de garder à la marge du film) envers Eva. Il lui ouvre petit à petit les portes de sa mémoire et de sa passion, secrète, pour la musique lyrique arabe.

Nabil Mallat.

Le fil du drame est tissé à partir de leur rencontre, des images qu’ils se renvoient et de la transformation de leurs personnalités au contact de l’autre. Le dénouement (dont tu peux, toi qui lis ces lignes, éviter la découverte en sautant au paragraphe suivant) joue sur l’ironie des stéréotypes : trahie par son patron, Eva le tue dans un accès de colère et s’enfuit en compagnie de Lahbib. C’est évidemment ce dernier que les médias présentent comme le meurtrier et comme le ravisseur d’une innocente femme flamande !

La violence est au centre du film : violence visible des quartiers qui est sublimée par une violence médiatique qui les stigmatise ; violences au sein des relations de travail entre Eva et ses supérieurs ; violence des deux héros qui doivent se battre contre leurs propres déterminations – le combat intérieur d’Eva est peut-être l’élément le plus faible du scénario, jouant presque exclusivement sur des scènes de solitude taiseuse ne créant aucune empathie pour le personnage. Le film défend ouvertement son propos politique sur l’organisation de nos sociétés. Son angle uchronique lui donne également la latitude suffisante pour ancrer le spectateur dans un présent presque exactement identique au sien.

Des plans travaillés, mettant notamment Bruxelles en valeur, des mouvements de caméra fluides ainsi qu’une structure et une symbolique très symétriques (Eva/Lahbib, quartier/télévision, etc.) constituent la base du style des deux réalisateurs – on retrouvera d’ailleurs tous ces gimmicks dans leur deuxième film, Black . D’un point de vue purement technique, Image est léché, quoique maladroit par moments. Mais les quelques longueurs et inégalités du scénario n’entachent pas la fraîcheur et l’énergie qu’Arbi et Fallah ont investies dans ce projet. Un cinéma belge neuf, polémique et captivant.

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Réalisé par Adil El Arbi et Bilall Fallah
Avec Nabil Mallat , Laura Verlinden , Geert Van Rampelberg , Gene Bervoets , Fabrice Boutique
Belgique , 2014, 83 minutes