critique &
création culturelle
House of Hummingbird de Kim Bora
Miettes d’espoir

Comment survivre au drame, quotidien ou hors du commun ? Lancinante question qu’explore ce premier film de la réalisatrice sud-coréenne Kim Bora. Entre découverte sentimentale et souffrances sociales.

1994. La vie est dure pour Eun-hee, jeune collégienne sud-coréenne à la famille dysfonctionnelle et dont les amours se nouent et se dénouent aux fils des curiosités adolescentes. L’ombre du suicide plane autour d’elle, elle en parle avec ses amies, son oncle le commet sans doute… Et puis, il y a une rencontre, celle d’une nouvelle professeure de chinois, madame Young-ji – une femme énigmatique et charismatique sur laquelle le poids des traditions ne semble pas peser. Enfin, à côté des drames privés, il y a la catastrophe publique… dont je ne gâcherai pas la découverte à la spectatrice1 .

Ce premier long-métrage de la réalisatrice Kim Bora, également à l’écriture et à la production, a été un immense succès en Corée du Sud. Il a remporté un nombre considérable de prix et est considéré comme l’un des meilleurs long-métrages de l’année… 2018. Car oui, étrangement, il aura fallu deux longues années pour que House of Hummingbird arrive dans les cinémas belges à l’été 20202 . Étrange choix de distribution, à un moment où l’industrie entière naviguait à vue dans les brumes au début de la crise sanitaire. Mais ne nous plaignons pas ! Malgré quelques faiblesses, le film impressionne. Il dresse un portrait sans mélancolie de la société sud-coréenne des années 1990, tiraillée entre une tradition patriarcale particulièrement stricte et la place de plus en plus importante de la culture américaine.

On a parfois l’impression de retrouver, dans le style de Kim Bora, des gimmicks spécifiques au cinéma social européen : le destin d’une jeune fille de travailleuses, habitant dans une immense barre d’immeubles au milieu d’une zone urbaine en perdition, la caméra-épaule qui s’agite dans les moments de doute ou de tristesse, la réalité froide d’un monde adolescent sans espoir. Certes, la réalisatrice présente un contexte sud-coréen immédiatement reconnaissable, mais elle montre aussi l’universalité de la pauvreté et de la précarité ; le commun de la fatigue des humaines et du monde qui les entourent. Une scène emblématique : quand Eun-hee discute avec son petit-ami sous un abribus arc-en-ciel au toit troué.

La naissance, et même plus précisément la recherche des sentiments, se place au cœur du récit. Battue par son frère, aidant régulièrement sa sœur « délinquante » et « sorteuse », Eun-hee veut trouver du réconfort. Son premier choix, un garçon gentil mais infidèle, la trahit plusieurs fois. La relation qu’elle noue avec une fille de son âge, sans doute la plus belle et la moins toxique du film, ne survit pas au temps qui passe. Finalement, c’est avec Young-ji, une adulte, qu’elle parvient à nouer une amitié ambiguë ; à la fois pleine de promesse et toujours à la frontière de sentiments plus difficile à admettre, surtout au sein de sa famille traditionaliste. L’homosexualité restera un horizon très pudique, sans concrétisation physique, mais certainement libérateur pour le personnage.

Comme tous les premiers films (ou les films tout court ?) House of Hummingbird ne manque pas d’aspérités… l’utilisation des plans fixes, claustrophobiques, risque de lasser certaines spectatrices, tout comme la longueur du métrage qui dépasse les deux heures. Mais face à la puissance émotionnelle de son dernier tiers, en particulier quand culmine la relation entre Eun-hee et Young-ji, ces défauts s’oublient vite. Le jeu des actrices, la musique subtile et douce de Matija Strniša et quelques moments de grâce – notamment une chanson a cappella de Young-ji – finissent de convaincre. Même si Kim Bora a assumé frontalement la fatalité du drame, elle laisse à la spectatrice une dernière inspiration, comme un mouvement léger, vital et nécessaire.

Notons pour conclure que House of Hummingbird (littéralement La Maison du Colibri ) est une excellente porte d’entrée pour le cinéma sud-coréen. Sans être didactique, il décrit avec force détails et situations la vie quotidienne de ses personnages, l’importance des hiérarchies sociales et la culture de la réussite, le rôle central de la cuisine dans les échanges interpersonnels, l’omniprésence de la violence (en grande partie virile et masculine) et les tentatives de réactions, les extrêmes de la punition et de la générosité… La spectatrice pourra aussi y deviner une critique en sous-texte de la classe politique, qui est un leitmotiv du cinéma sud-coréen contemporain.

Même rédacteur·ice :

House of Hummingbird

Réalisé par Kim Bora

Avec Ji-hu Park, Sae-byeok Kim , In-gi Jeong, Seung-Yun Lee

Corée du Sud, 2020

138 minutes