critique &
création culturelle
Ithaka

L’odyssée d’une famille

Ithaka est un documentaire réalisé par Ben Lawrence diffusé dans le cadre du festival du film documentaire Millenium programmé le 31.03.2023 au cinéma Vendôme. Ithaka traite des difficultés juridiques et humaines vécues par les proches de Julian Assange durant la campagne contre son extradition aux États-Unis. Émouvant, intime, Ithaka dépeint la réalité d’une famille réunie dans un combat pour la justice et la liberté.

Ithaka est un documentaire sorti initialement en 2021. Il est aujourd’hui programmé à l’occasion de la 15e édition du festival du film documentaire Millenium. On y rencontre la fiancée de Julian Assange, Stella Moris ainsi que le père biologique du lanceur d’alerte, John Shipton. Nous suivons dans un quotidien lourd une famille motivée par la volonté de rendre justice à leur fils et compagnon. Ce long métrage illustre une lutte pour la liberté d’expression et remet en question l’impartialité des juridictions et des médias. Ithaka observe surtout l’aspect humain d’hommes et femmes qui, par leur volonté de faire le bien, nous inspire par la force de leur détermination.

Il ne peut plus parler par lui-même, nous devons donc nous exprimer à sa place.
John Shipton

Ben Lawrence se positionne comme observateur à hauteur d’homme et pose sa caméra dans l’intimité de cette famille pour y capturer la force d’amour et l’humanité que dégage les protagonistes. Un choix intéressant pour l’audience qui bien souvent soustrait l’homme à ce qu’il représente. Ici, on ressent toute la difficulté de ce combat grâce au prisme de la famille, leur détermination à conserver leur relation et leur combat malgré les doutes, les procédures juridiques et le Covid 19. Durant tout le long métrage se glissent des similitudes entre John et son fils Julian.

Les premières minutes du documentaire récapitulent l’histoire de Julian Assange à travers un éventail d’archives vidéo. Une fois le contexte posé, on commence à quitter la remémoration pour l'accompagnement et on se surprend à reconnaître Julian à travers son père. Étant tous deux atteints du syndrome d’Asperger, leurs réactions et attitudes envers l'environnement sont surprenantes et traduisent leur différence de manière poétique, par exemple leur perception de certains détails ou leur franc parler. Une scène dans le film illustre particulièrement bien leur similarité : Stella est chez ses parents à Barcelone et téléphone avec Julian Assange. L’échange est léger et Julian entend le bruits de sabots sur les pavés catalans à travers le téléphone. Il souligne alors que c’est un bruit plaisant. Plus tard dans le documentaire, John s’exprime à propos de l’amour qu’il a pour ses enfants. C’est alors qu’il entend lui aussi des chevaux passer à l’arrière de son jardin et souligne lui aussi qu’il aime ce bruit. Ces similarités renforcent le sentiment d'écho et de double entre le père et le fils, renforçant de fait son absence. Julian Assange n'est plus qu’une aura fantomatique, une voix au téléphone, une statue ou une photo dans le journal télévisé. Tout cela contribue au mythe de David contre Goliath : Julian Assange devient une idée, un idéal.

Le combat de Stella Moris est impressionnant. Avocate et mère des deux enfants de Julian, on la voit se battre devant les tribunaux mais aussi devant de nombreux micros, réclamant une justice impartiale. Stella apparait comme une femme capable, courageuse et endurante.
Cette combativité est d’autant plus impressionnante quand on comprend le poids des enjeux politiques qui pèsent sur Julian Assange. Il est accusé d’espionnage et on sent à travers la médiatisation de l’affaire qu’il n’est plus considéré par les gouvernements britannique et états-unien comme un  journaliste mais bien comme un criminel. Le documentaire ne se veut pas larmoyant et souligne justement la force que Stella Moris déploie, et donc aussi la puissance proportionnelle de ses échecs ou de ses doutes.

Quant à John Shipton, on le voit se prêter à contrecœur au jeu médiatique de l’interview et aux prises de paroles publiques. Il ne cache pas son avis critique à l’encontre des médias, en questionnant leur libre pensée, il ne se gêne pas non plus pour s’affirmer devant les reporters et fixer les limites de l’intrusivité du documentaire. On ressent sa peine, sa volonté de nouer une relation riche avec son fils. Cette relation met en avant leur similarité dans leur sentiment de différence face au monde, grâce aux moments de partage face caméra où John Shipton partage avec tendresse sa relation avec Julian. Il y parle de leurs conversations, partage avec authenticité et bienveillance ses inquiétudes, ses joies mais aussi sa volonté d’expliquer le combat philosophique du travail de Julian. John sème tout au long du documentaire des éléments de réflexion sur le monde, la démocratie, les pouvoirs. Des réflexions qu’il partage avec son fils. Grâce à celles-ci on comprend quel genre d’homme privé peut être Julian Assange.

Ithaka bénéficie de plans contemplatifs et d’une colorimétrie aux tons grisés illustrant la tristesse, la mélancolie, le doute, la peur et l’incertitude de Stella et John. Les décors ternes et froids de Londres et New York sont cependant réchauffés par les présences humaines entraînantes qui surgissent lors des moments de partage avec les manifestants. Ces couleurs apparaissent aussi dans les scènes de vie familiale, à travers la tendresse transmise par les enfants de Julian et Stella ou par les échanges enfantins entre John et sa fille cadette. Ces moments d’innocence entrent en contradiction avec le ton sérieux et pessimiste du documentaire. Des instants qui deviennent d’autant plus précieux du fait de leur rareté et qui remettent en perspective nos relations, nous poussant à les chérir d’autant plus. Paradoxalement ce film procure un sentiment d’injustice mais également d’espoir. Il se veut aussi porte-drapeau du combat pour la libération de Julian Assange et utilise les derniers plans du documentaire pour appeler à soutenir cette cause.

Le titre du documentaire, Ithaka , fait référence à l'île grecque, région dont Ulysse, le héros mythologique de la guerre de Troie, est souverain. Dans l'Odyssée, Ulysse revient victorieux mais, ayant défié les dieux, ceux-ci l'empêchent alors de retourner chez lui. Pendant dix ans, le héros sera confronté à de multiples dangers. Seules son ingéniosité et sa combativité lui permettront alors de retourner chez lui, où sa femme Pénélope l’attend. Elle aussi usant de ruse pour changer le jeu du destin à son avantage.



En sachant cela, le lien avec l’histoire de Julian Assange devient alors évident.
Ithaka conte cette autre odyssée émouvante et éprouvante, racontée depuis les rives d’Ithaque de la bouche des proches qui attendent et défendent un mari, un fils, piégé par des vents contraires.

Ithaka rencontre parfaitement la sélection au ton subversif de cette 15e édition du festival Millenium. En effet, celle-ci se veut inspirante, ouverte aux métamorphoses, et a pour fil rouge la mise en lumière du quotidien d’anonymes cherchant à préserver ce qu’il y a de plus précieux en l’humain : nos forces d’action et de transformation positive sur notre environnement.
Une édition anniversaire qui rime avec les 75 ans de la déclaration universelle des droits de l’Homme ⁠Stella Moris sera exceptionnellement sur place pour présenter le documentaire ce 31 mars au cinéma Vendôme.

Le Millenium projettera du 26 mars au 6 avril une soixantaine de documentaires dans les salles bruxelloise à travers les catégories Jeunes Talents, Vision Jeune, Nationales et Internationales. L'occasion de rendre hommage aux êtres qui, conscients de la vulnérabilité de l'existence, inspirent une force du cœur et d’agir brûlante.

Même rédacteur·ice :

 

I thaka

Réalisé par Ben Lawrence

Avec Stella Moris, John Pilger, John Shipton

Australie, 2021

106 minutes

 

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