critique &
création culturelle
Mid90s
Skate, sex and fun

Mid90s , le premier film de Jonah Hill, suit le parcours mouvementé du passage à l’adolescence d’un jeune garçon dans le Los Angeles des années 90.

Accroché à son petit personnage infatigable et à sa nouvelle bande de skateurs qui rebondissent sur leurs planches au rythme du hip hop, Jonah Hill porte un regard très juste sur cette décennie d’avant l’arrivée d’internet, de la digitalisation et du partage de vidéos à tout va. À la vision de cette époque aujourd’hui révolue, pourtant pas si éloignée de la nôtre, on peut sentir poindre un doux sentiment de mélancolie.

Le jeune Stevie (Sunny Suljic) profite de l’absence de son grand frère, impulsif, pour aller dans sa chambre. Il regarde, fasciné, les objets qui l’entourent : casquettes, magazines, cassettes audio et cds. Il balaie du regard l’étagère de disques de son frère et prend des notes. Il veut lui offrir un cd qu’il n’a pas. Les yeux grands ouverts, il finit son exploration attentive en écoutant assis de la musique sur son discman. Avec cette belle séquence d’initiation à la découverte, Jonah Hill va plus loin que de simplement redonner corps à ces objets qui semblent déjà d’un autre temps. Il leur donne une présence à la fois sentimentale et fonctionnelle, qui les fait s’ancrer intelligemment dans le récit et les fait participer à son déroulement.

Stevie vit avec son grand frère et sa mère. Un jour, il rencontre dans la rue une bande de jeunes skateurs qui se disputent avec le dirigeant d’un magasin. Stevie se sent attiré par ces adolescents plus âgés que lui à la « tchatche » et au caractère bien trempé. D’abord en observateur, il se rapproche d’eux, puis finit petit à petit par prendre sa place au sein du groupe. Chacun des personnages de la bande se distingue par son physique, son surnom ou non, son caractère, sa situation familiale ou ses envies.

Pourtant, l’esprit de cohésion du groupe se fait bien ressentir à l’écran, mais aussi les liens qui progressivement se tendent. Une fraîcheur dans l’interprétation sûrement liée au fait que nos jeunes skateurs sont pour la plupart des acteurs amateurs. Il faut ainsi les écouter échanger, parler de sexe ou de couleur de peau, entre jubilation et désinvolture, quitte à ce que leur discussion soit vaine, tourne à vide. Dans d’autres séquences, ils exposent leurs questionnements et leurs désirs d’avenir : Ray veut devenir skateur professionnel et voyager ; « Fourth Grade », la caméra toujours en main, ne peut s’empêcher de filmer, il veut devenir cinéaste. Le portrait de ces jeunes personnages, fantaisiste, n’est ainsi pas non plus dénué de finesse.

Le film est tourné en pellicule 16 mm et en format 4/3. Faut-il voir dans ces choix techniques affirmés une volonté purement esthétisante, un certain maniérisme visant à rendre les plans moins lisses et plus cools ? Non, car l’image granuleuse se prête bien à cette époque en ébullition et apporte une charge documentaire en prise sur le vif, aux déambulations, aux mouvements et aux figures des jeunes skateurs. Le cadre resserré, qui délimite davantage l’espace filmé, permet de capter avec plus de frontalité la présence et le mouvement des personnages. Dans certaines séquences, ce format carré offre aussi des rapports visuels intéressants en accentuant la profondeur de champ, ce qui conduit à perturber l’ajustement entre l’horizontalité et la verticalité du cadrage. Ainsi, lorsque les jeunes skateurs descendent une voie rapide vide, entourée de chaque côté par des voitures, la caméra bien centrée au milieu avance lentement vers eux tandis qu’ils filent à sa rencontre depuis la profondeur et la dépassent. Sous la lumière californienne, c’est comme un couloir vers la liberté qui s’offre à nos jeunes skateurs.

La musique, omniprésente, transmet aussi avec panache ces années 90. C’est l’âge d’or du hip hop et les derniers feux du grunge. Ici aussi, pas de simple volonté d’ornementer les images, mais un choix réfléchi et très personnel du réalisateur : il y a cette envie que la musique trouve le bon rythme à l’image, qu’elle rende au mieux les différentes atmosphères. Effectivement, l’électricité du rock et le tempo du hip hop accompagnent les envolées des skateurs, leur énergie, leur soif de se dépasser, leur colère, aussi, attisée par la boisson. La mélancolie de Kurt Cobain, dans la pénombre, vient survoler les premiers ébats sentimentaux et sexuels de Stevie ; la voix de Morrissey, elle, une virée nocturne en skate, plus apaisée. S’invitent aussi, à nos oreilles, de délicates parties de piano.

Avant ce 90’s , plusieurs cinéastes ont pris comme cadre de leurs films la culture skate et les tourments de l’adolescence, et non des moindres : Gus Van Sant et son Paranoid Park , aux images et à la matière sonore passionnantes, Larry Clark et ses portraits de jeunes à la violence implacable, sans échappatoire possible. Mais Jonah Hill, entouré de ces influences évidentes, parvient tout de même avec son film à proposer une voie personnelle digne d’intérêt, mois sensorielle et moins âpre, mais plus connotée, davantage cadrée : c’est cette décennie bouillonnante des années nonante et le parcours escarpé de son petit personnage autour duquel gravite ses premières expériences d’adolescent.

On peut, à cet égard, un peu regretter qu’il suive une évolution narrative tout de même assez balisée, au final plutôt attendu. Il joue ainsi sur un effet d’accumulation des actions, et plus dure sera la chute. Si de vives montées d’émotion donnent au film sa tension, celui-ci gagnerait à sortir de sa route, à laisser parvenir des moments plus vaporeux, à susciter quelques trouées narratives. Il n’en demeure pas moins que cette œuvre parvient à nous emporter dans le flot et les élans de cette jeunesse. Jeunesse déjà d’un autre temps.

Même rédacteur·ice :

Mid90s

Réalisé par Jonah Hill

Avec Sunny Suljic, Katherine Waterston, Lucas Hedges, Na-Kel Smith

États-Unis, 2019

85 minutes