critique &
création culturelle
Only you
un film lumineux pour un sujet encore tabou

Associer thème tabou et réussite esthétique n’est pas toujours facile au cinéma. Pourtant, Harry Wootliff, jeune réalisatrice anglaise, parvient à les conjuguer dans son premier long métrage, Only you . Elle y décrit les méandres empruntés par un couple dans sa soif de parentalité et nous livre un film à couper le souffle.

Only you est une histoire d’amour comme on les aime. Dès qu’elle apparaît à l’écran, on souhaite le meilleur du monde à la sublime et sympathique Elena. Et lorsque, le soir du Nouvel An, elle rencontre son inconnu dans un taxi, nos yeux s’illuminent. Son inconnu, c’est Jake. Il a 26 ans. Elle en a 35. Peu importe. L’alchimie est là et le couple brûle les étapes. Quelques semaines plus tard, il emménage dans son appartement et après quelques mois, ils décident de fonder une famille. C’est là que le scénario idyllique s’assombrit : les mois passent et la désillusion frappe chaque fois Elena aux toilettes. Peu à peu, le couple découvre la détresse solitaire de ceux qui ne parviennent pas à enfanter alors qu’autour d’eux, tout le monde semble y arriver sans souci. Après quelques mois d’essais non concluants, un médecin leur recommande de tenter la fécondation in vitro. L’histoire du couple se forme et si au début, elle en renforce la stabilité, le coup porté au ventre chaque mois, à chaque tentative, chaque espoir déçu ronge peu à peu le fil de leur relation.

Véritables pourvoyeurs d’empathie, Laïa Costa et Josh O’Connor incarnent avec leurs tripes ce couple soumis à rude épreuve. La douleur de la procréation mécanique portant dans son ombre celle du silence qui l’accompagne. Si Elena aborde une fois le sujet avec son amie, celle-ci ne trouve pas les mots pour l’accompagner. « Il y a pire que de ne pas avoir d’enfants ». Oui, mais… C’est alors qu’il faut repenser sa vie et son couple. La peine du père n’est pas oubliée. Moins explosive, moins corporelle, mais tout aussi présente. Il craque discrètement lorsqu’il se retrouve seul et ne semble parler de ses difficultés qu’à son propre père. Harry Wootliff semble avoir choisi d’aborder davantage l’impact psychologique de la fécondation in vitro (et plus largement de l’impossibilité d’avoir un enfant), plutôt que son aspect médical. Only you ne passera pas en revue les différentes étapes qui jalonnent le recours à cette technique. Mais le film propose de découvrir l’envers du décor, ce qui n’est pas décrit dans les revues médicales mais qui fait de cette technique, à laquelle ont pourtant recours de plus en plus de couples, un véritable parcours du combattant duquel chaque partenaire ressort marqué.

Si la thématique n’est pas facile à porter au cinéma, Harry Wootliff l’aborde tout en douceur et subtilité. Pas de pudibonderie, mais une intimité sauvegardée. Esthétiquement aussi, le film de la jeune réalisatrice est très bien réussi. Malgré l’aspect scientifique du sujet, il demeure une fiction et ne passe pas la frontière du documentaire. On est loin de la brutalité de la réalité, ce que certains pourraient lui reprocher, mais peu importe, il s’agit bien une œuvre artistique qui, sensuelle, lumineuse et énergique, capte le spectateur dès les premières scènes et à laquelle il ne peut plus échapper. La beauté des acteurs et celle du décor créent la distance avec le réel, plongeant le spectateur dans la dimension artistique. Leur douleur est sublimée et les crises de nerf semblent comme chorégraphiées. Bien loin du cinéma des frères Dardenne, mais tout aussi juste. La bande annonce cadre parfaitement avec les scènes qui se déroulent dans une temporalité parfaite… aucun moment las… aucun moment abrupt.

Bref, Only you est un film dur quant au sujet qu’il traite mais d’une beauté (presque) parfaite qui laisse augurer de beaux projets pour cette réalisatrice.

Même rédacteur·ice :

Only you

Réalisé par Harry Wootliff

Avec Josh O’Connor, Laia Costa

Angleterre, 2018

119 minutes