critique &
création culturelle
Retour en Irlande

Deux ans après la sortie de la Part des anges , Ken Loach revient avec Jimmy’s Hall , présenté en compétition au dernier festival de Cannes. Écrit par son vieux complice Paul Laverty, le film se déroule en Irlande en 1932, dans un pays qui peine à se reconstruire après la crise économique de 1929 et les guerres d’indépendance qui eurent lieu dix ans plus tôt.

Dès le générique, le ton est donné : sur une musique jazzy et enjouée défilent des images de New York après le mardi noir de 1929. Jimmy’s Hall sera donc une histoire de solidarité, de bonheur partagé malgré un contexte social difficile. James « Jimmy » Gralton et des amis avaient construit une salle des fêtes dans leur village. Les ouvriers s’y réunissaient. On y partageait la danse, le dessin, la lecture, la musique. Des ouvriers, syndiqués et solidaires. Les notables et le prêtre du coin ont vu ça d’un mauvais œil. On les a poursuivis et traités de communistes. Ils ont essayé de se défendre mais ils avaient la loi contre eux. Alors Jimmy a dû quitter l’Irlande pour New York. Et quitter Oonagh.

Quand il revient une décennie plus tard , Jimmy et ses amis ont vieilli. Certains ont des enfants, d’autres des rides ou du mal à gagner assez d’argent pour vivre. La précarité s’est installée, les anciens rêves se sont dissipés. Jimmy retrouve sa mère et aspire à une vie paisible. Mais pour la jeune génération, Jimmy est le héros local, celui qui a amené la gaieté dans ces contrées et s’est battu contre l’oppression politique. Il n’en faut pas plus à Gralton pour restaurer la salle des fêtes. La même histoire se reproduit. Sauf que maintenant, on y écoute du jazz et l’on danse comme dans les cabarets de Brooklyn. Les années passent. Mais la peur et la bêtise du prêtre et des notables restent les mêmes.

JimmysHall

Avec cette histoire inspirée de faits réels, Ken Loach ne signe malheureusement pas un film exceptionnel. La faute sans doute à un scénario et à un traitement parfois trop appuyés ou trop scolaires. La construction du film ne tient pas toujours, notamment l’usage de flashbacks passablement ratés. On assiste aussi parfois à des dialogues irréels où des personnages parlent histoire et politique comme le feraient des livres d’histoire actuels. En raison de ces scènes poussives, de ce genre de facilités, les personnages paraissent peu vivants. Parlons-en, de ces personnages. Si celui de la jeune fille rebelle ou du prêtre sont bien campés, d’autres n’ont qu’une fonction décorative. Oonagh, l’amour de jeunesse de Jimmy, se signale en particulier par son inconsistance. Ken Loach échoue à mettre en scène toute cette communauté , en faisant de la plupart de ses membres des figurants. Peut-être la volonté d’ancrer le film dans un cadre très précis, dans une situation politique et historique complexe, empêche-t-elle le réalisateur de s’intéresser assez à ses personnages.

Pourtant, avec une pareille histoire de solidarité, brassant des thèmes universels et humains comme l’entraide, la peur, l’idéalisme, on aurait pu rêver d’un autre film. Tel quel, Jimmy’s Hall reste néanmoins appréciable . Pour une fois que la crise des années trente n’est pas traitée sous le prisme américain ou allemand, on ne peut qu’être intéressé par ce sujet qui offre un autre éclairage sur la période. Et puis surtout, il y a la découverte d’un formidable acteur, Barry Ward , interprète de Jimmy, à la fois mélancolique et charismatique, triste et beau. Comme la fin du film. Qui révolte et donne espoir. Un beau paradoxe. À l’instar du générique, finalement, qui donnait déjà le ton.

Même rédacteur·ice :

Jimmy’s Hall

Réalisé par Ken Loach
Avec Barry Ward, Simone Kirby
Royaume-Uni , 2014, 109 minutes