critique &
création culturelle

Legally Blonde de Robert Luketic 

Scène culte (39)

Basé sur le roman du même nom, Legally Blonde est une comédie américaine sortie en 2001. Succès populaire et film culte incontournable, ce chick flick est paradoxalement toujours la risée des milieux cinéphiles, à tort. Juste à temps pour la sortie du troisième opus (prévue en 2023), retour sur les origines d’une icône avant-gardiste, féminine et féministe.

Jeune, blonde et jolie, Elle Woods plait. Elle le sait, et elle ne s’en excuse pas. Film girly dans toute sa splendeur (ne lisez aucune péjoration dans ces mots), Legally Blonde (2001) est une relique de vidéo-clubs du début du millénaire, trop souvent délaissée. Pourtant, sous ses airs de comédie pour ados, légère et rose bonbon, on trouve une œuvre subversive, intelligente et assurément féministe. Au croisement entre chick flick , college movie et coming-of-age , ce récit d’une bimbo redéfinit les codes et troque l’attendu relooking misogyne pour un coup de poing manucuré dans le système patriarcal.

S’il y a bien une chose que m’évoque le coming-of-age, c’est le makeover (ou relooking ). Utilisé pour illustrer le passage d’un état à un autre, ce ressort cinématographique met en scène une transformation (presque toujours physique) dans un montage dynamique, stylisé, coupé au rythme de musique (presque toujours pop). Véritable pilier de mes films coming-of-age favoris ( Pretty in Pink , Ten Things I Hate About You, She’s All That… ), celui-ci a régné en saint sur les teen movies post-féministes de l’ère John Hughes, et au-delà1 . Bien que divertissant et jouissif (en particulier depuis une posture Camp 2 ), plus les années passent, plus ce rituel initiatique et filmique a tendance à me laisser un goût doux-amer.

Adopté, emprunté, inversé, recyclé, usé, ironisé… Déjà saturé et considéré comme has been depuis plusieurs décennies3 , ce trope est, c’est évident, un cliché sexiste. Presque systématiquement, c’est le personnage féminin qui doit se transformer physiquement pour plaire au héros masculin. On connait la chanson : tenue flatteuse, maquillage subtil, talons, et le célèbre tour de passe-passe « on enlève les lunettes et la princesse se révèle ». Les codes de beauté féminine conventionnels sont érigés en résolution ultime, et ce afin d’entrer dans la case hétéronormative du fameux male gaze : belle mais pas trop sexy, séduisante mais pas trop séductrice, émancipée mais toujours passive, agent de changement mais, surtout, objet de désir. En un mot, un coming-of-age , mais contraint à une transition ultra romantisée vers une pseudo-prise d’autonomie romantique et sexuelle aux yeux de l’homme. Quelle ado n’a pas rêvé de se métamorphoser à en ébahir toute l’assemblée du bal de promo ? Encore aujourd’hui, teinté de nostalgie pour ce fantasme filmique escapiste et daté, le plaisir du relooking me prend de court. Mais le plaisir de sa subversion plus encore. Alors, plus de 20 ans après sa sortie, je choisis de revenir sur le teen movie qui refuse le relooking : Legally Blonde .

Étudiante en mode et merchandising de Los Angeles, Elle Woods (Reese Witherspoon) est une sœur (de sororité, entendons) et petite amie dévouée. Tout semble se dérouler au mieux dans sa vie de Barbie moderne et populaire. Mais lorsque son futur époux supposé, Warner, la quitte soudainement, Woods décide de tout plaquer pour prendre sa revanche. Hantée par les remarques acerbes de son ex (« Elle, je dois marier une Jackie. Pas une Marilyn. »), Elle rejoint les prestigieux bancs de la Harvard Law School. Mais arrivée sur la côte Est, tout se complique. Sa personnalité pétillante et son apparence coquette lui portent préjudice. Il semble qu’être féminine et intelligente soit un paradoxe irrésolvable dans le milieu austère des facs de droit. Il serait bien temps pour un relooking à la Jackie Kennedy, non ? Bien au contraire. Elle Woods est déjà lookée. Un re looking serait un non-sens, selon elle. Tailleur ajusté, teint éclatant, accessoires flashy, chevelure parfaitement brushinguée… Elle revendique un look girly, stéréotypé et assumé. Woods démontre que girly n’est pas une insulte. C’est non seulement une esthétique, mais aussi une philosophie de vie. Son look est son identité ; son essence, même. Son but n’est alors pas de changer ce qu’elle est pour regagner le sacro-saint « gendre idéal », mais d’utiliser ses atouts afin de prouver son intelligence et sa volonté de guerrière. Pour y arriver, elle a besoin d’une seule chose : une séquence d’entraînement stylisée et sur-coupée sur une chanson RnB-pop. La détermination. La hargne. L’acharnement. C’est ça qui l’anime. Sous les notes typées années 2000 de « Watch Me Shine », on voit Elle Woods battante, prête à se jeter corps et âme dans un régime quasi olympique pour arriver à ses fins. C’est Rocky sans les gants de boxe. Bruce Wayne sans Liam Neeson et son coaching ninja. C’est Elle Woods, son costume de playmate et son Macbook couleur pêche. Entre cours et vélo elliptique, bibliothèque et salon de coiffure, syllabus et chihuahua, Elle prend le contrôle. Un portrait de féminité forte, gaie et décomplexée qui apporte en vent de fraicheur dans les rôles types de femme de pouvoir du cinéma plus « adulte4 ».

Cette séquence d'entraînement représente le fantasme ultime, plus encore que n’importe quel relooking . Face aux Kennedy, Marilyn se bat. Marilyn réussit. Tout en rose et paillettes, elle prouve sa valeur en dehors du male gaze et, dans la foulée, démontre l’importance de l’altruisme sororal et dénonce le harcèlement sexuel dans le milieu professionnel (quelques quinze années avant #Me Too). Il est là, le vrai coming-of-age . Cette prise de maturité qui mène à la réalisation que, non, ce n’est pas pour son ex, son crush , ou son professeur qu’elle évolue ; mais pour ses sœurs et, avant tout, pour elle . Ce seront ses envies, sa personnalité, ses talents qui sont mis à l’honneur. On reproche souvent à ce genre de film d’être niais ou vide de sens. Pourtant, la narration, si simpliste soit-elle, est efficace et regorge de thématiques encore d’actualité aujourd’hui. Sous la comédie kitsch, tout en légèreté et insolence, un conte d’ empowerment habile et jubilatoire. Là où certains voient de la stupidité, je vois une forme de sincérité candide qui fait tout le charme de l’héroïne, et du film, par extension. Ils disent « nunuche ». Je dis « iconique ».

Lookée, téméraire, sincère et engagée, donc. Mais avant-gardiste, surtout. 20 ans plus tard, je milite pour une réévaluation de ce college movie qui, selon moi, représente parfaitement le féminisme post-postmoderne par l’affirmation positive de la bimbo5 . Une réévaluation culturelle déjà en marche dans la critique et réseaux sociaux nouvelle génération6 , qui prouve que la féminité impénitente et assumée continue d’inspirer la jeunesse. Pour toutes ces raisons, l’image de Elle Woods toute de rose vêtue, se pavanant fièrement à travers le campus de Harvard, reste et restera mon fond d’écran encore bien longtemps.

 

Legally Blonde

Réalisé par Robert Luketic

Avec Reese Witherspoon, Luke Wilson, Selma Blair, Matthew Davis

États-Unis, 2001

96 minutes

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