critique &
création culturelle
Scream 5
l’affranchi

Pendant la période doublement morose et mortifère du confinement, une nouvelle a particulièrement contribué à égayer les perspectives d'avenir des groupies de l'horreur contemporaine : la mise en place de la production de Scream 5 !

Autant l'annoncer directement, cette nouvelle réjouit autant qu'elle suscite de nombreuses interrogations (pour ne pas dire doutes les plus profonds). Elle réjouit car l'envie de revoir les péripéties du mythique Ghostface face à la famille Prescott reste immuable. On doute cependant pour deux raisons. La première étant la reprise d'une saga déjà ressuscitée inespérément en 2011 par le cinéaste d'origine lui-même, Wes Craven. La seconde consiste précisément en la mort du réalisateur survenue courant 2015, et donc l'impossibilité évidente de le voir réaliser le projet. Retour sur quelques faits marquants.

Le maître d'une saga

En 1996, Wes Craven présente Scream , un film d'horreur à destination d'un public ado mais bourré de références qui réjouissent la critique (fait rare à ce niveau). Le cinéaste sait de quoi il parle et manie à la perfection les code d'un genre qu'il a contribué à faire évoluer. Rappelez-vous, en 1972, La dernière maison sur la gauche , c'était lui. Quelques année plus tard, en 1977, La colline a des yeux (nettement moins abouti mais tout aussi marquant), c'est encore lui. Freddy aka Les griffes de la nuit en 1984, devinez quoi ? Bingo ! On a donc affaire à un gaillard qui s'y connaît en la matière, et qui, parallèlement à sa carrière de cinéaste, possède une maîtrise en philosophie (ce qui se ressent dans l'approche purement morale du traitement général de ses personnages).

Épaulé par l'inventif Kevin Williamson (futur scénariste de l'ensemble de la saga mais aussi de Souviens-toi... l'été dernier (1997) et The Faculty (1998)), Wes Craven réalise une œuvre qui  engendre un tournant dans l'histoire du cinéma d'horreur. Car, oui, Scream fait peur, mais fait surtout beaucoup rire. Et c'est sur ce point que le traitement du duo Craven-Williamson se fait ressentir. La mise en scène et le découpage sont propres, contrairement aux contenus graphiques de plusieurs séquences astucieusement explicites (la scène d'intro de Drew Barrymore avec la célèbre réplique : « Quel est ton film d'horreur préféré ? »), et la fameuse scène du volet de garage trucidant Rose McGowan), et sont soutenus par les agissements d'un mystérieux tueur totalement gauche dans ses gestes (il trébuche, tergiverse). Certes, les traits d'humour ne manquent pas d'exemple dans le cinéma horrifique ( Evil Dead (1981) de Sam Raimi, Re-animator (1985) de Stuart Gordon, entres autres), mais le succès commercial et l'inventivité recherchée par Craven incitent au renouvellement du genre horrifique. En mêlant horreur subtile et douce ironie, le film parvient à être digeste et intelligible pour un public de masse mais également pour les connaisseurs. De nombreux films continuent de surfer sur ce côté purement ludique, avec comme exemple La Cabane dans les bois (2012) de Drew Goddard, le récent The Hunt (2020) de Craig Zobel ou encore Ready or Not (2019).

Une nouvelle génération

Ready or Not nous amène justement à parler des deux cinéastes à qui le projet Scream 5 se voit être confié : Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett. Comment prendre la relève d'un tel monument,  parvenu à continuellement réinventer la saga (malgré un troisième opus nettement moins emballant et pertinent) ? Pour ce faire, le scénariste Kevin Williamson, adoptant cette fois la casquette de producteur exécutif, a déniché deux jeunes cinéaste américains déjà très en vue dans le répertoire horrifique. Officiant sous le nom du collectif Radio Silence , les deux réalisateurs ont participé à l'intéressante anthologie V/H/S (2012) pour ensuite livrer The Baby (2014), tourné façon found-footage . Malgré une évidente habileté à créer des situations de tensions, le film souffre de sa longueur et d'une approche pas folichonne (Roman Polanski a tout dit sur le sujet avec Rosemary's baby en 1969). En bénéficiant d'un budget nettement supérieur, comme en témoigne le casting avec Andy MacDowell ( Sexe , Mensonges et Vidéo (1989), Un jour sans fin (1993) ou Quatre mariages et un enterrement (1994)), les cinéastes balancent Ready or Not en 2019. Si, à l’instar de The Baby , le film repose sur un pitch déjà vu et parfois difficile à avaler (voir à ce titre le fondateur Les Chasses du comte Zaroff (1932)), on remarque que la mise en scène rattrape presque entièrement le coup. Les plans sont léchés et soignés, à l'image de ce beau travelling avant, au début et à la fin du film, annonciateur de toute l'importance du décor investi (le somptueux manoir). L'aspect « méta » de l'approche des cinéastes se fait également délicieusement ressentir lorsque le personnage de MacDowell tente de tirer à l'arc à flèche, s’excusant au passage de son geste. Habillement, les cinéastes portent le spectateur hors de l'histoire pour le renvoyer vers une ancienne pub L’Oréal . Et ça marche ! (Pas le shampoing mais le plan...) Dans l'ensemble, la jeune carrière de Matt Bettinelli-Olpin et Tyler Gillett annonce une évidente affinité avec le répertoire de l'horreur, tout comme leur capacité à créer de véritables ambiances. Ils tentent systématiquement de composer, de faire évoluer un genre, laissant au passage sous-entendre qu'ils ne se contenteront pas de réaliser un vulgaire remake ou un reboot de Scream .

Ajoutons à cela la confirmation du rôle tenu par David Arquette, le sergent Dwight Riley, dont le personnage symbolise à merveille l'esprit décalé instauré par Craven et Williamson. Neve Campbell a bien évidemment été approchée mais aucune confirmation n'est encore apportée quant à l'apparition (ou plus) de la célèbre Sidney Prescott. Elle avait accepté de remettre le couvert dans le très jouissif Scream 4 , mais Wes Craven était toujours bien là pour la convaincre. En étant affranchi de l'emprise du cinéaste originel, espérons que le duo Olpin-Gillett suive toutefois bien ses traces, en n'empruntant pas celle de l'insipide série disponible sur Netflix qui entache le nom d'une saga historique. Selon les mesures sanitaires prises outre-Atlantique, l'équipe technique n'attend plus que le feu vert de la production Spyglass pour débuter le tournage, avant que le projet ne devienne assurément viral.