critique &
création culturelle
Tales from the Loop
Ruralité dystopique

Tales from the Loop est une série de science-fiction unique en son genre, inspirée des peintures du suédois Simon Stalenhag. Apportant une fraîcheur et une étrangeté envoûtantes dans l’univers audiovisuel actuel, elle est à découvrir ou redécouvrir sur Amazon Prime depuis 2020.

L’histoire de Tales from the Loop prend place dans un environnement suburbain des années 80 qui s’organise autour d’un accélérateur de particules nommé le Loop . Dans cet univers étrange se côtoient la population locale et créations autour du Loop en tout genre, allant de machines futuristes à des créatures hybrides, lesquelles auront souvent des conséquences insolites sur les habitants.

Aux rênes de la série se trouve le scénariste Nathaniel Halpern (connu par ailleurs pour Legion et The Killing ), qui offre en une saison de huit épisodes d’environ une heure un point de vue unique des personnages et leur évolution dans cet environnement techno-rural à l’ambiance nostalgique .

Contes hors du temps

En parlant d’ambiance rétro-futuriste nostalgique et d’années 80, on peut directement penser au succès de séries comme Stranger Things , s’accumulant depuis quelques années dans une sorte d’hommage aux œuvres visuelles du siècle dernier. Tales from the Loop semble apporter quelque chose de différent d’entrée de jeu dans sa réalisation et ses thèmes plutôt sobres pour démarrer, son atmosphère contemplative bercée par son thème musical récurrent. Dès les premières secondes, nous sommes invités à entrer dans l’univers par Jonathan Pryce incarnant le fondateur du Loop , ce qui sonne comme un hommage aux débuts d’épisode de la série La Quatrième Dimension. Il nous présente le contexte du Loop et ses recherches menées, nous avertissant déjà des conséquences mêlant l’impossible au possible. La suite des images fait le reste du travail pour nous immerger en nous présentant le cadre de l’histoire et déjà certains personnages (les travailleurs du Loop ), le tout défilant sur des boucles musicales.

Qui de mieux par ailleurs que le compositeur Philip Glass (accompagné de Paul Leonard-Morgan), connu pour son registre minimaliste, aux boucles (( loops )) infinies pour illustrer la série ? Le thème principal, d’autant plus répétitif et entêtant qu’il est sobre lui aussi, tranche avec les bandes-son de science-fiction que l’on connaît habituellement. Celle-ci rappelle en effet davantage d’autres œuvres télévisuelles telles que Twin Peaks par exemple, dont le thème est sans doute aussi connu que le nom. Elle s’accorde aux actions, qu’elles soient tranquilles, nostalgiques ou plus dramatiques, devient une actrice à part entière de la série.

Souvenirs fantaisistes de banlieue

À l’origine de la série, on retrouve l’artiste peintre suédois Simon Stalenhag, qui pour son œuvre se nourrit autant de son expérience de jeunesse dans la banlieue suédoise que de l’imagerie de science-fiction, en particulier cyberpunk et rétro-futuriste.

L’artiste publie le livre éponyme en 2014 aux éditions Ur Varselklotet, et est également l'auteur d’autres romans graphiques tels que The Electric State . L’univers du Loop a aussi fait l’objet d’un jeu de rôle, basé principalement sur l’histoire d’origine. Si celle-ci prend place dans une région fictive suédoise, la série la replace dans un contexte de ville américaine rurale de l’Ohio.

Dans son livre qu’il conte et illustre, Stalenhag adopte le point de vue insouciant de l’enfant qu’il était, évoluant entre ces machines et assistant aux événements curieux provoqués autour du Loop . Il s’agit donc à l’origine davantage d’une autobiographie romancée de l’artiste dont il est le narrateur principal, ce qui explique son placement dans les années 80. La série adopte quant à elle pour chaque épisode le point de vue d’un personnage différent de la communauté et développe son histoire. Toutes ces adaptations existent ainsi en leur propre, tout en se complétant, et permettent de former un univers cohérent.

Paradis artificiels

Ces tableaux jonchés d’éléments anachroniques se déploient sous la baguette de différents réalisateurs, notamment Jodie Foster qui clôt la série tout en subtilité. Les décors et l’esthétique soignés font presque goutte pour goutte écho aux illustrations originales malgré le changement au niveau géographique, notamment par sa palette graphique tantôt pastel, tantôt plus sombre et contrastée.

En ce qui concerne les thèmes, les habitués de la science-fiction s’y retrouvent : que ce soient les machines, le laboratoire et les sciences, la permutation esprits-corps et l’identité, les voyages dans le temps, pour n’en citer que quelques-uns. Ces thèmes semblent cependant parfois secondaires, servant davantage de base pour mettre l'accent sur l’ambiance, les personnages, leur psychologie et leur quotidien dans cette bourgade hors du temps. La série s’en sert pour creuser du côté philosophique et du sensible, que ce soit la perte d'un être cher, le vieillissement, les difficultés relationnelles entre humains…

Certains épisodes peuvent dès lors sembler parfois prévisibles alors que d'autres surprennent avec des fins assez vertigineuses, tandis que l’épisode nous tient sur le fil de l’étrangeté tout le long, et dont l’irrémédiabilité fait frissonner.

La série apporte une certaine lenteur et un côté contemplatif au genre de la science-fiction. En s’attardant sur ces personnages, elle porte un regard compatissant et une tendresse à leur égard à l’inverse de beaucoup d’œuvres de SF et de leur vision plutôt cynique de l’humain. Elle ne renie toutefois pas ses imperfections dans leur rapport (parfois immature) avec la technologie et les dérives qui peuvent en découler, mais dans un constat davantage philosophique que moralisateur ; la machine, et le Loop en l'occurrence ayant ici autant son rôle à jouer dans le déferlement des évènements, un côté tentateur parfois, et la série souhaitant également à plusieurs reprises de proposer des tentatives d’harmonie entre homme et machine.

Tales from the Loop marquera davantage pour son aura et les questionnements qui restent ancrés après visionnage, donnant l’envie de s’y immerger inlassablement en l'attente, peut-être, d’une deuxième saison.

Même rédacteur·ice :

Tales from the Loop

Créé par Nathaniel Halpern
Avec Rebecca Hall , Paul Schneider , Jonathan Pryce , Duncan Joiner , Daniel Zolghadri
États-Unis, 2020
1 saison : 8 épisodes entre 51 et 58 min

À visionner sur Amazon prime