critique &
création culturelle
The Monk from the Tang Dynasty &
Walker

Prendre le temps

Prendre le temps

Dans la foulée, une rétrospective de l’œuvre cinématographique de Tsai Ming-liang est proposée depuis le 19 mars au cinéma Galeries. Au même endroit, vous pouvez découvrir une installation de plusieurs vidéos intitulée WALKER. Alors qu’il vient de faire ses adieux au cinéma après avoir reçu l’année dernière le grand prix du Jury à la Mostra de Venise pour Stray Dogs , le réalisateur s’empare de l’ancien cinéma Marivaux pour nous proposer cet intense spectacle-performance.

Pour l’occasion, l’ancien cinéma ressemble à un grand hangar désaffecté nous révélant quelques aspects de son passé et nous plongeant dans une atmosphère froide et inquiétante. Au sol est étendue une grande feuille de papier blanc. Un peu d’encens brûle dans un coin. Une silhouette rouge entre en scène et vient s’allonger au milieu de cette absence de couleur. Il est rejoint par Kao Jun-Honn (artiste contemporain taïwanais fasciné par les lieux abandonnés), qui dessinera en temps réel une fresque mouvante au fusain noir. Le dessin illustre, autour de la figure du moine endormi, le rêve qui décida de son périple. Des araignées géantes tissent des fils qui peuvent symboliser la route de la soie qu’a empruntée Xuanzang dans sa quête vers l’Inde. On n’entend plus que le bruit des fusains qui craquent sur le sol et le froissement du papier. Ensuite on efface, on transforme en superposant des couches dans le dessin et on le plie pour laisser émerger un autre chemin.

Passer de l’ombre à la lumière, du rêve à la conscience. La première fresque est terminée et le moine se réveille. Il arpente l’espace pas à pas ou s’immobilise de longs moments. Dans la conscience de chaque instant il mange un fruit, boit de l’eau, récite un mantra. Le temps se dilate petit à petit et la vie se révèle dans ses plus infimes manifestations.

La proposition artistique est radicale et ne laisse personne indifférent. Il faut changer nos habitudes de spectateur occidental pour vivre pleinement cette expérience si nous ne voulons pas que cela tourne au supplice. L’atmosphère est calme, la moindre incursion sonore dans le silence apporte une autre sensation. Quelque chose de mystérieux se dégage de ce spectacle. Pas un mot ne sera échangé durant la représentation. Le silence sera accompagné de quelques morceaux de musique dont ce très beau standard de jazz de Doris Day, Sentimental Journey , et des morceaux de musique traditionnelle qui évoquent un temps révolu. Il n’y a finalement rien à faire ni à comprendre, tout est sensation et matière.

Comme dans les vidéos de l’installation WALKER qui mettent en scène un moine en train de marcher très lentement dans des paysages urbains saturés, la ville est aussi présente ici, elle traverse les murs de cet ancien cinéma : sirène d’ambulance, voix des passants font une incursion dans cette plénitude… Peut-être ce spectacle ne plaira-t-il pas à tout le monde tant l’exigence scénique de la performance est totale mais de ma place de spectateur il reste un souvenir très prégnant. L’envie de lâcher prise et de savourer la vie à un autre rythme en prenant pleinement conscience que rien n’est permanent. Sans doute une de mes expériences théâtrales les plus singulières.

Nous vous proposons un regard croisé en néerlandais sur ce spectacle avec les étudiants de la faculté des lettres de la KU Leuven campus Brussel (HUBrussel). Pour découvrir leur point de vue : lien vers le site

The Monk from the Tang Dynasty
de Tsai Ming-liang
Les 3, 4, 6 et 7 mai à 20 h 30, au cinéma Marivaux, dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts.
Mandarin > NL / FR
130’ env.
Billetterie : cinéma Marivaux, ouverte de midi à 19 heures.
98 boulevard Adolphe Max
1000 Bruxelles
T +32 (0) 70 222 199

Walker (exposition)
Jusqu’au 24 mai de midi à 21 heures, tous les jours sauf le lundi.
Cinéma Galeries
26 galerie de la Reine
1000 Bruxelles.

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