critique &
création culturelle
Un château en Espagne

Escapada , premier long-métrage de Sarah Hirtt, explore un thème que la jeune réalisatrice avait déjà abordé dans son court-métrage En attendant le dégel : la fratrie. Elle y ajoute des ingrédients qui lui tiennent à cœur : l’échappée belle et le soleil de l’Espagne.

Le film est belge mais l’intrigue se passe presque en intégralité en Espagne, dans un quasi huis clos. Ça fait du bien, un film belge au soleil, plein de projets fous de ceux qui donnent de l’énergie. La guitare espagnole et la pierre ocre remplacent l’accordéon et la pierre grise. Mais la lumière vient aussi de la jeune actrice belge Raphaëlle Corbisier, fraîchement sortie de l’INSAS. Ses compatriotes François Neycken et Yohan Manca incarnent ses deux grands frères.

Le reste du casting, espagnol, n’est pas en reste et donne une couleur particulière au film : celle l’authenticité. En effet, Sarah Hirtt a décidé d’engager des comédiens amateurs, de véritables militants du mouvement Okupa (les indignés espagnols qui squattent des bâtiment abandonnés dans une perspective politisée et revendicative), donc très proches de ses personnages. En résulte un film spontané, qui fait la part belle à l’improvisation. Une impression de réel encore renforcée par la caméra à l’épaule, et son énergie particulière.

Une fratrie, démantelée depuis la mort du père, se retrouve autour d’un héritage : une grande maison en Espagne, délabrée mais pleine de promesses. Pourtant, chacun a un projet différent : Jules y voit un moyen de combiner la vie anti-système qu’il a choisie et son nouveau rôle de père. Il envisage  la maison comme un bon compromis entre ses idéologies et ses nouvelles responsabilités. Gustave, l’aîné, est resté au pays et a pris la place du père, tant dans l’entreprise que dans la famille, en s’occupant de la petite sœur et de la mère. Pour lui, cette maison est l’occasion de faire rentrer de l’argent et d’échapper à la faillite qui menace. Et puis il y a la petite dernière, Lou, qu’on essaye de tenir à l’écart mais qui rêve de cette la maison tombée du ciel comme une occasion de retrouver Jules et de s’échapper loin de l’horizon trop étroit de sa vie en Belgique.

Le film essaye de toutes ses forces de ne pas être manichéen mais on sent vite de quel côté se range la réalisatrice. Comme Lou, elle aime sincèrement les deux frères mais est attirée par la lumière du rebelle, ses beaux discours parsemés d’utopie, l’ailleurs, l’échappée. Or cette vision est un peu enfantine. Si on regarde de plus près et qu’on se met à la place de Gustave, le comportement égoïste de Jules saute aux yeux.

Le pauvre Gustave incarne la Belgique pluvieuse, les problèmes d’argent rabat-joie, les responsabilités, la réalité pas drôle. Il est caricaturé et en prend pour son grade : c’est vrai qu’avec ses tartines et son thermos de café, il ne fait pas très « auberge espagnole ». Mais ce portrait n’est pas très juste. Gustave a été obligé de devenir père de famille en remplaçant son père, quand celui ci est mort et que son frère s’est fait la malle. Jules découvre seulement cette responsabilité en devenant père à son tour. Que peut-on penser d’un personnage comme Jules, qui a de grandes idées de vie en communauté mais n’est pas capable de prendre des nouvelles de sa propre mère ?

C’est la parabole du fils prodigue, qui divise toujours autant. Jules nous insupporte-t-il parce qu’il est égoïste ou parce qu’il nous renvoie à nos propres peurs, aux limites que l’on se met ? Gustave ne devrait-il pas se libérer de ce gros fardeau qu’il semble s’être imposé lui-même à la mort de leur père ? Quand on y pense, c’est celui qui avait coupé les ponts qui veut garder la maison, héritage familial, et la restaurer. Jules gagne à prendre ses responsabilités et Gustave à s’octroyer un peu de légèreté. Répare-t-on une famille comme on restaure une vieille maison, avec un patchwork de papier-peint fleuri, de l’huile de coude et des compromis ?

Le film aborde beaucoup de questions intéressantes mais ne les creuse pas, il reste en surface. On sent bien que la vie en communauté anarchiste ne peut pas être aussi idyllique qu’il n’y paraît. Mais on ne gratte pas le verni, ou à peine, on reste sur une vision idéalisée, superficielle, comme les projets de tour du monde de Lou. La méchante dans l’histoire, c’est la réalité : les factures, les services sociaux qui menacent d’enlever la petite loin de ses parents hippies. On attend le moment où Lou va comprendre que mêmes les plus beaux discours conservent leurs paradoxes. Ce fameux moment  pointe le bout de son nez au détours d’une soirée bien arrosée, où Lou semble déchanter après s’être fait sermonner par le groupe. Mais tout est oublié le matin suivant.

Le film s’achève sur une solution bancale qui ne passera certainement pas l’hiver, mais dans laquelle chacun semble trouver son compte. Elle nous permet de quitter les personnages heureux et satisfaits, même si il reste des questions. Après tout, c’est comme ça la vie, la vraie. Il n’y pas toujours de dénouement, de solution miracle. Seulement des convictions qui s’opposent, des mentalités qui évoluent, des relations qui se font, se défont, des frères et sœurs qui se détestent mais s’aiment quand même.

Escapada , c’est une tranche de vie dans la famille Hernandez. À la fin, on les laisse se débrouiller entre eux. Ils ont compris deux trois trucs, c’est toujours ça de gagné.

Sarah Hirtt voulait faire un feel good movie : c’est réussi. Elle voulait y glisser quelques questions et lancer des débats, c’est un bon début mais on aurait pu aller plus loin.


Escapada

Réalisé par Sarah Hirtt
Avec François Neycken , Raphaëlle Corbisier , Yohan Manca , Sergi Lopez
Belgique, 2019
89 minutes