critique &
création culturelle
Cent jours sans Lily :
« Un roman qui n’en serait pas un, c’est là tout l’intérêt »

Écrire 2000 signes par jour pendant 100 jours. Voilà la méthode qu’a décidé de suivre Linda au cours de cet automne à la fin duquel elle aura fini d’écrire son roman. Entremêlant enquête policière, méandres de l’imagination ainsi que réflexions sur l’amitié et le processus de création, Aliénor Debrocq revient sur la scène littéraire belge avec ce second roman hors des sentiers battus.

Lors de son voyage à Saint-Pétersbourg, Linda, journaliste belge trentenaire en voyage de presse, songe à son amie américaine, Lily Brooks. Rencontrée sur les bancs de l’université de Columbia quinze ans plus tôt, Lily est une véritable sœur de cœur pour Linda. Partageant une passion commune pour l’écriture et la littérature, la première connaît le succès avec ses romans et mène une vie sans attaches, tandis que la seconde essuie les refus de manuscrits et goûte au quotidien amer d’une mère célibataire surmenée. Malgré le temps et la distance, leur amitié est restée intacte. Mais lorsque cet inspecteur américain lui annonce la disparition de Lily, Linda en vient à se demander si elle connaît si bien que ça cette « jumelle américaine ».  Au fil des pages se dresse alors le portrait de la disparue depuis trois points de vue différents : celui de Linda, de l’enquêteur solitaire, Alexander, pris d’une obsession pour cette affaire et enfin du jeune photographe français Ellias dont l’histoire a inspiré Lily dans l’écriture de son dernier roman. Mais rapidement, l’enquête policière est reléguée au second plan pour laisser place à des sujets plus profonds.

En effet, le récit ainsi soumis à cette contrainte stylistique de 2000 signes par chapitre induit une narration déconstruite sous la forme d’une mosaïque de fragments. Comme le répète la narratrice à plusieurs reprises, le but recherché est de jeter les idées en vrac sur le papier en donnant l’illusion qu’elles n’ont pas été retravaillées. La forme narrative apparaît ici comme le miroir du processus d’écriture et de création en général en plongeant le lecteur dans le labyrinthe de l’imagination de la narratrice. De cette manière, il devient donc familier avec les impulsions créatrices de l’artiste lors de l’écriture.

De plus, le récit nous fait voyager à travers plusieurs espaces-temps et fait s’entremêler l’intrigue littéraire avec des moments de l’Histoire avec un grand H. Des steppes russes à la côte Est américaine en passant par le froid hivernal de la campagne canadienne et la Syrie en guerre, on entre tour à tour dans la peau d’un Tsar déchu, d’un écrivain russe du XX e siècle, d’un photographe abîmé par la guerre… Les tours de passe-passe sont nombreux.

Une fois de plus, Aliénor Debrocq déconstruit l’idéal de linéarité pour nous révéler les évènements petit à petit et en désordre, ce qui donne parfois au récit un aspect décousu. En effet, cette narration déstructurée apporte parfois son lot de confusion et le lecteur éprouve des difficultés à trouver ses repères et à se faire une représentation mentale harmonieuse du roman. S’ajoute à cela la ressemblance déconcertante entre le personnage de Linda et l’auteure, qui semble jouer au chat et à la souris avec nous. Et nul doute sur l’identité de cette souris…

Enfin, l’écrivaine belge ajoute également au récit des réflexions plus universelles sur l’amitié, le temps qui passe, notre rapport aux autres et au monde au travers de préoccupations écologiques et technologiques. Le lecteur est aussi encouragé à s’interroger sur la place de la femme au sein de la société contemporaine, comme c’était déjà le cas dans les précédents ouvrages de l’auteure.

Ainsi, réalité et fiction se confondent dans les méandres de l’imagination et de l’âme créatrice. Aliénor Debrocq nous présente un second roman à la plume aiguisée en abordant des thèmes résolument contemporains.

Même rédacteur·ice :

Cent jours sans Lily

Aliénor Debrocq
ONLIT éditions, 2020
192 pages