Dans le macrocosme
Karoo a le plaisir de présenter le recueil de poésie de Christine Guinard, Si je pars comme un feu , paru à l’Arbre à Paroles ; une ronde autour de la mémoire et des mots.
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Karoo – Avant tout : pourquoi la poésie ? C’est un genre qui n’a plus le lustre qu’il pouvait avoir il y a quelques dizaines d’années. Pourquoi avoir choisi cette forme d’expression littéraire ?
Christine Guinard – La poésie s’est imposée à moi en quelque sorte. J’écrivais de courts textes, d’abord, que je n’avais classés dans aucun genre –mes poèmes sont le plus souvent en prose. Progressivement c’est apparu comme une évidence ; sans doute est-ce une forme qui me permet d’être plus libre (est-ce que cela semble paradoxal ?) puisqu’elle offre la plus haute intensité de jeu avec le langage, avec les sens, la perception : je suis musicienne, je travaille aussi avec la photographie, la peinture, la vidéo. Et c’est sans doute l’écriture poétique qui permet le mieux de se connecter à des impressions fugaces, visuelles, auditives, va et vient entre le matériau intérieur et le monde. Qui permet d’écrire en ne dévoilant pas tout, par évocation, déplacement, impression.
Aussi, c’est cette forme qui rend le mieux accès à une certaine rapidité du flux (images, pensées, sensations), voire à une fulgurance – que l’on tente de restituer par les mots.
Où puisez-vous vos influences ? Y a-t-il un auteur ou une auteure qui vous ait particulièrement influencé ?
J’imagine que les auteurs qui ont influencé mon écriture son très nombreux, je suis professeur de lettres et j’ai lu toute sorte de littérature. Je peux nommer spontanément, à titre d’exemple, des « classiques » qui m’ont à tel ou tel moment bouleversée par leur façon de saisir le réel en connivence avec les mouvements de la conscience : Dostoïevski, Tolstoï (découverts très tôt), Faulkner, Proust, J. Gracq, C. Simon, R. Char, Rimbaud, M. Duras, B-M Koltès, Michaux, S. Plath, E. Dickinson…
Le fait de « connaître » la littérature d’un point de vue académique, on pourrait presque dire scientifique, influence-t-il votre rapport à l’écriture ? Est-ce à votre avis une richesse ou un obstacle ?
C’est une question importante, on écrit toujours à partir d’un matériau intérieur qui nous travaille et qui a été formé par nos lectures entre autres. On est influencé par la connaissance intime que l’on a des œuvres, par la matière de la langue, par des rythmes, des couleurs, des résonances, des flux. On est aussi influencé par ce que les livres traduisent, manifestent ou véhiculent, en-deça ou au-delà du langage. Richesse ou obstacle ? une richesse indéniable, in fine, même si on peut se sentir inhibé par la connaissance que l’on a et par un sens critique qui s’est aiguisé au fil des lectures. Cela dit, certains affirment écrire le livre qu’ils voudraient lire, ce n’est pas réellement mon cas : j’ai parfois l’impression de chercher une autre voie/voix, d’écrire tout autre chose, qui tenterait d’explorer les champs encore neufs.
En lisant Si je pars comme un feu on a l’impression de reconnaître certaines figures – celle de l’enfant ou de l’individu face à la nature – mais le doute ne disparaît jamais. D’où vient cette ambiguïté ?
L’ambiguïté, vous voulez dire le sentiment qu’on est sur le fil, que le dévoilement n’est que partiel ? C’est sans doute mon écriture qui l’impose, je crois que j’ai besoin de restituer ce qui prend forme un peu comme en musique, dans un langage neuf, vivant. C’est comme une proposition, une esquisse, un signe : vous avez raison, il s’agit parfois de l’enfant, ou de l’individu face à la nature, mais je me place toujours je crois, comme à l’intersection d’un infiniment petit (le lieu des sensations les plus fines, voire de la sensibilité, de l’intime) et de l’écho vers plus grand que soi (à l’intérieur ou dans le macrocosme 1 ).
En effet, votre écriture mélange des images du monde teintées de couleurs, presque des symboles, et des images de l’esprit, sentiments, impressions, éclats de sens. Il est donc juste de dire que la description de la relation, ou de la confrontation, entre l’extérieur et l’intérieur est un point central de votre écriture ?
Voilà, comme je l’ai évoqué en réponse aux questions précédentes : l’écriture poétique permet de toujours questionner ce lien, cette connexion entre soi (dans le sens d’un contour de l’être, la peau, les sens, l’inscription des sentiments, des émotions, la pensée, la perception, la mémoire, l’histoire) et tout ce qui est fugace, plus grand, même impalpable. C’est parfois comme une manière d’accroche.
En vous lisant, le lecteur peut penser que vous êtes la narratrice de vos poèmes, que dans cet échange univers-individu, c’est vous qui parlez, composez, contez. Voyez-vous les choses de cette manière ?
Oui sans doute, une tentative d’accordage, de mise en résonance. On conte ce que l’on connaît, même sans savoir et, ce faisant, on fait naître d’autres échos, d’autres liens.
Cette année Karoo réfléchit aux formes de l’engagement – vous considérez-vous comme une poète engagée ?
Je ne sais pas, j’ai une façon d’écrire très intuitive, il m’est difficile de dire « j’ai voulu tenir tel engagement », même si bien sûr, l’intuition est toujours liée à la pensée. Je dirais que je suis engagée dans mon travail de terrain par exemple à divers niveaux (j’enseigne, etc.), et dans d’autres formes d’implications dans le réel. Par l’écriture, ce n’est pas flagrant, même si des préoccupations universelles ou contemporaines apparaissent au cœur même du processus, la question du féminin, voire de l’inscription des femmes dans notre monde, l’exil, le lien entre les êtres.
Encore une chose : travaillez-vous actuellement sur un nouveau projet d’écriture poétique ?
Il y a toujours quelque chose en cours : un nouveau recueil en cours de publication et surtout, des bribes, des ébauches, des textes qui naissent ; sans doute plusieurs projets à la fois. Des Corps transitoires paru en 2017 est un recueil de nouvelles – poétiques sans doute – et j’écris en ce moment d’autres nouvelles. Un livre qui met en relation le poème et la photographie, Time Lapse , devrait également paraître au printemps.
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