La poésie qui remplit les deux conditions d’être publiée récemment et lue par moi, tourne souvent autour du corps, de son abjection, de ses déjections. Elle y puise des images, des théories sur l’existence, utilise ses effets pour apposer sur les mots un sceau d’authenticité. Parfois, trop consciente d’elle-même, elle détourne même cette impression de réel , avertit son lectorat de s’en méfier.

La poésie, ce n’est jamais le chemin facile, même quand celui-ci paraît le plus court, de la pensée à l’image jusqu’au langage. Reste que la poésie est toujours écrite par des animaux.

William Cliff interrompant un poème pour nous signaler qu’il a « embrenné le fond de [s]a culotte », pousse à l’obscène cette intimité mystérieuse qui nous lient tous et toutes en tant que créatures du monde. Bien sûr, ça demeure un artifice littéraire, ça ne provoquera jamais la même montée d'adrénaline que le fait d'ouvrir précipitamment la porte d'une toilette occupée, puis de la refermer aussitôt. Mais il y a quand même quelque chose de cet ordre. Ces réflexions m’amènent à un paradoxe que je poserai sous forme de question : pourquoi ce qui est le plus communément partagé est-il le plus impropre à communiquer ?

Dans mon parcours personnel, la source de cette interrogation naît avec la voix d’Artaud débitant sa tirade sur le caca en 144p sur YouTube. Je ne comprends bien sûr pas le fond de son propos, j’ai 16 ans. Je ris nerveusement, mais ce rire se poursuit sous mon crâne longtemps. En cours de religion, seul dans mes pensées, je divague sur l’existence d’un anus divin.

Il ne suffit pourtant pas de parler du corps, pour parler au corps. Parfois, cette littérature aux fluides et secrétions omniprésentes me passe sous les yeux et me tombe des mains. La répétition d’un motif fatigue, mais prendre conscience d’un gimmick désespère. En redécouvrant tous les jours l’animalité de l’homme, on creuse en fait un écart que notre étonnement met à jour.

Si cette tendance se poursuit, c’est peut-être bien que tout lecteur est un voyeur. Que celui n’ayant jamais cliqué sur un article au titre suintant de sueur, de pisse, de merde et de sang nous jette le premier commentaire. Cela serait pourtant injuste d’en conclure que toute poésie « trash » est « trash » pour être « trash ». Mais cela serait niais d’ignorer que le « trash » est vendeur, que le « trash » pour le « trash » ne demande pas grand effort, ne produit pas grande œuvre, et pour cette raison déborde des rayons.

Simon Johannin tente, dans son premier recueil, de titiller nos pulsions avec des poèmes courts, affectés, irréguliers. Il y est question d’une succession de scènes, auxquelles on prête instinctivement un aspect autobiographique, où des personnages se heurtent à la rudesse de la vie, tout en y goûtant la sensualité. Ces instantanés nous plongent dans les yeux du narrateur, lequel propose des images exaltées (« Un pistolet contre ta jambe/ Une carcasse de voiture »), en poussant parfois le ton jusqu’à une certaine mégalomanie (« Quand dans mon cœur s’hurle ce cri/ Je vais tout niquer »).

Ode à la vie, la violence, la vitesse, la chiennerie de la vie, Nous sommes nos êtres chers actionnera sûrement les rouages de cerveaux (restés) adolescents, pressés d’en découdre, confondant leurs ambitions et leurs fantasmes. Cependant, si la vitalité de ces images ne parvient pas à vous toucher – comme dans mon cas –, vous resterez sur le banc de touche. Prisonnier d’une conversation qui ne vous concerne pas, vous pourriez vous sentir légèrement irrité par ce jeune premier qui vous demande en toute sincérité :